2863- On est passé de Bob Dylan à Taylor Swift, c'est dire si on est mal barré! 2 posts

En soixante ans, on est passé de Bob Dylan à Taylor Swift, c'est dire si on est mal barré!

[BLOG You Will Never Hate Alone] Les deux chanteurs ont débordé leur époque pour en devenir leur oracle. Sauf que l'Amérique a bien changé entre les années 1960 et aujourd'hui.

La chanteuse et compositrice américaine Taylor Swift lors du premier concert en France de sa tournée The Eras Tour, sur la scène de la Paris La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 9 mai 2024. | Julien de Rosa / AFP
La chanteuse et compositrice américaine Taylor Swift lors du premier concert en France de sa tournée The Eras Tour, sur la scène de la Paris La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 9 mai 2024. | Julien de Rosa / AFP

 

D'emblée, avec un titre pareil, cela sent le papier de vieux con. Voire même de très vieux con, si ce n'est de très vieux très con. Il n'empêche, par son aura, sa popularité ou son influence, Taylor Swift pourrait souffrir d'être comparée à Bob Dylan. Évidemment, les styles musicaux sont différents, les époques aussi, mais dans cette manière que les deux chanteurs ont d'endosser les rêves et les aspirations de la jeunesse de leur temps, leurs trajectoires peuvent être mises en parallèle.

 

Bob Dylan a incarné les années 1960 comme Taylor Swift incarne les années d'aujourd'hui. Même effervescence, même omniprésence, même capacité à fédérer autour de leur personnage des foules considérables voire monstrueuses. Bob Dylan parlait à l'Amérique comme Taylor Swift parle à l'Amérique d'aujourd'hui. Avec cette même ferveur qui finit par déborder le simple cadre musical pour devenir un phénomène de société, l'objet de toutes les curiosités.

Chaque conférence de presse de Bob Dylan était scrutée à la loupe comme chaque publication de Taylor Swift sur les réseaux sociaux l'est désormais. Bob Dylan a été le porte-parole, l'oracle d'une jeunesse américaine qui prenait conscience que leur pays était loin de correspondre à l'image que l'on s'en faisait.

Taylor Swift parle et incarne une Amérique qui a renoncé à tout exercice intellectuel si ce n'est de s'indigner (à juste titre) des violences commises envers les minorités.

 

Bob Dylan était un génie littéraire. Taylor Swift est une femme d'affaires incomparablement douée pour faire fructifier sa marque et, à travers ce glissement, cet éboulement même, on voit bien comment en l'espace d'un demi-siècle, nous sommes passés d'une société qui parvenait encore à réfléchir par elle-même à une sorte de marchandisation tous azimuts où la forme a définitivement pris le pas sur le fond.

 

C'est vrai en musique comme au cinéma. Songez que lorsque Manhattan de Woody Allen est sorti en 1979, il est resté trois semaines en tête du box-office… Oui, je sais, moi aussi j'ai failli en tomber de ma chaise! Trois semaines pour un film où, entre deux scènes de séduction amoureuse, on passait son temps à parler de Flaubert, de Mahler, de Bergman, de Norman Mailer, de psychanalyse, de mort, autant dire de thèmes et de sujets qui seraient

aujourd'hui inaudibles voire incompréhensibles pour l'immense majorité de la population. Quel fabuleux décrochage!

 

Bob Dylan était un poète qui transcendait le langage pour fixer les vertiges de son époque, un troubadour shakespearien, là où Taylor Swift, malgré son indéniable talent, demeure une chanteuse certes pétillante, certes pétulante, certes douée comme personne pour habiter une scène de spectacle, mais bien trop occupée à faire prospérer son entreprise pour être autre chose qu'une marque destinée à plaire au plus grand nombre.

 

On ne peut pas le lui reprocher, elle est l'enfant d'une époque qui a sombré dans une aphasie culturelle si profonde qu'elle semble être en état de mort cérébrale. Elle a coupé tout lien avec l'écrit au point où une simple phrase qui prétendrait s'écrire sur plus d'une ligne provoquerait un passage aux urgences pour ceux qui se risqueraient à la comprendre. L'époque a l'intelligence d'un tweet, d'une story sur Instagram ou Facebook, d'un clip sur TikTok, un ramassis de banalités aussi revigorant à parcourir que la notice d'utilisation d'une crème hémorroïdaire.

 

Et nous n'avons encore rien vu. Quand l'intelligence artificielle aura fini de conquérir tous les champs de la pensée, l'humanité sera devenue un espèce de ventre, un cloaque fabuleux de bêtise, où à force d'ingurgiter inepties sur inepties, son intelligence intuitive, sa compréhension du monde et de ses enjeux, ne dépassera pas celle d'un moineau atteint de constipation.

 

Nul doute que dans les temps à venir, le règne de Taylor Swift dépassera toute mesure. Rouée et intelligente comme elle l'est, elle s'adaptera aux transformations de son époque et continuera à enchanter une Amérique retombée en enfance. Elle quittera son footballeur américain pour se pâmer entre les bras du fils d'Elon Musk, enfin s'il existe. Tous deux posséderont la moitié des richesses mondiales et passeront leur week-end sur la Lune. Ou sur Mars.

Moi, fort heureusement, comme Bob Dylan, je serai mort depuis bien longtemps.

C'est donc de mon cercueil que j'assisterai à la cérémonie de remise du prix Nobel de littérature de l'an 2068, décerné à Taylor Swift pour son œuvre qui aura marqué, selon le communiqué de l'académie suédoise, «l'empreinte d'un esprit qui sans cesse aura cherché à conquérir de nouveaux espaces littéraires par l'entremise d'une langue accrocheuse et râpeuse, porteuse d'une humanité bienveillante et aimante».

 

Au secours!!!!

 

 


11/05/2024
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