2675-...Si l’Ukraine tombait 1 post

Si l’Ukraine tombait

  • par Bruno Tertrais, pour Le Point - janvier 2024 extraits
L’hypothèse d’une défaite de l’Ukraine est envisageable. Elle serait un cauchemar pour toute l’Europe et un encouragement pour la Russie et ses alliés à aller plus loin.
 
Octobre 2025. Dans un baraquement militaire anodin, non loin de Zaporijia, le président ukrainien par intérim signe l’armistice avec le commandant en chef des forces russes. Épuisée par plus de trois années de guerre, l’Ukraine a décidé que sa survie passait par un compromis. En avril, les forces russes avaient percé le dispositif ukrainien au sud-est et au nord-est et conquis Kharkiv et Odessa, privant Kiev d’accès à la mer et amenant la Russie aux portes de l’Europe. Vladimir Poutine, triomphant, annonce la «défaite de l’Occident» et la «deuxième victoire sur le nazisme». Une parade sur la place Rouge est prévue pour accueillir l’armée de campagne victorieuse. Le FSB est déjà à l’œuvre pour construire une trentaine d’installations permanentes le long du Dniepr. Des complexes de détention et de torture sont mis en place. Les entreprises chinoises se portent sur les rangs pour la reconstruction du pays. À ses frontières occidentales, une dizaine de gigantesques camps financés par l’Union européenne accueillent les déplacés, qui sont déjà plusieurs centaines de milliers. Ceux-ci comptent leurs disparus, dont des milliers d’enfants emmenés de force en Russie.
Ce scénario de la défaite est possible. Peu probable, mais possible.
......

«Pour Vladimir Poutine, le pouvoir ne se conçoit que dans la guerre permanente.»

Trou noir. Ce scénario serait cauchemardesque  pour l’Ukraine, mais pas seulement. Il le serait aussi pour l’Europe tout entière . Une Ukraine partiellement reconquise serait au mieux une nouvelle Biélorussie – un territoire sous emprise russe –, au pire une grande Transnistrie – un trou noir au cœur de l’Europe sous l’influence de Moscou, avec les conséquences que l’on imagine en termes de pression migratoire et de trafics en tous genres. Et la Russie ne s’arrêterait sans doute pas là. Une fois l’armée russe reconstituée, Moscou deviendrait une menace directe pour l’Europe, pour la première fois depuis quarante ans. Car, si l’Ukraine tient une place particulière dans l’histoire impériale russe et dans la tête de Vladimir Poutine, il n’y aurait aucune raison pour lui de s’arrêter là. D’abord parce que son objectif d’affaiblir l’Europe – la démocratie, la liberté et l’État de droit étant des menaces existentielles pour le syndicat mafieux au pouvoir à Moscou – serait intact. Ensuite parce que, pour Poutine, le pouvoir ne se conçoit que dans la guerre permanente, de la Tchétchénie à l’Ukraine en passant par la Géorgie et la Syrie. Les Occidentaux ont été naïfs de penser qu’ils pouvaient amarrer la Russie à l’Europe et l’intégrer par l’interdépendance. Poutine se déclare protecteur du rousski mir («monde russe») contre un «Occident collectif» menaçant. Pour lui, les frontières de la Russie ne s’arrêtent «nulle part» ?
 
Une Ukraine défaite, ce serait aussi un échec pour la crédibilité du projet européen. Et les répercussions se feraient sentir sur l’ensemble de la planète. Ce serait un encouragement à la remise en cause des frontières par la force, surtout à l’ombre de l’arme nucléaire. La Chine ne pourrait que prendre acte de l’échec occidental et s’en trouverait encouragée dans ses propres desseins territoriaux, en mer de Chine méridionale et bien sûr vis-à-vis de Taïwan. D’autres forces nationalistes se sentiraient pousser des ailes. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères n’a pas tort de prédire, dans de telles circonstances, le risque «non pas tant d’une troisième guerre mondiale que de premières guerres mondiales, au pluriel : de petites guerres chaudes entre États, les plus forts se sentant encouragés à tirer avantage de leurs voisins plus faibles». Des conflits qui émailleraient notamment la zone de contact entre puissances eurasiatiques et monde libéral, la «ceinture centrale», dans le cadre de ce que nous avons décrit comme une «guerre des mondes». Les pays attentistes, du Brésil à l’Inde en passant par l’Afrique du Sud, verraient le récit de la chute de l’Occident validé et pourraient être tentés de se ranger aux côtés des nouveaux maîtres du monde. Par ailleurs, l’Europe perdrait toute chance d’influer sur le destin de la Russie, dont le peuple mérite mieux que la condamnation à l’esclavage que le néo-tsar Poutine lui promet.
........
Les analogies historiques sont parfois pertinentes. Comme nos grands-parents au début des années 1940, l’Ukraine se bat contre une dictature nihiliste qui veut sa subjugation. Il n’est pas exagéré de dire qu’une décennie après le véritable Anschluss que fut l’annexion de la Crimée, le scénario décrit plus haut serait «l’équivalent moderne du protectorat hitlérien en Tchéquie après les accords de Munich» (François Heisbourg).

«Il ne reste qu’un an à l’Europe pour se mettre en ordre de bataille.»

Or l’Ukraine peut gagner, à la fois par l’attrition et par la manœuvre. Par l’attrition : faire payer le prix le plus lourd possible à la Russie lorsqu’elle tente de reprendre du territoire, comme les forces ukrainiennes le font déjà aujourd’hui, et cela finira par donner des résultats. Par la manœuvre : affaiblir la mainmise de Moscou sur la Crimée pour déstabiliser le Kremlin, un objectif crédible. Nous ne savons pas ce qu’il adviendra du soutien américain après janvier 2025, lorsque le prochain président et le prochain Congrès commenceront leurs mandats. Il faut à tout prix que les Européens soient prêts au scénario d’une interruption de l’aide des États-Unis. Il ne leur reste donc qu’un an pour se mettre en ordre de bataille industrielle. La bonne nouvelle, c’est qu’une nouvelle source de financement se dessine : celle des avoirs russes gelés à l’étranger… Il reste quelques mois aussi aux Occidentaux pour prendre les décisions stratégiques de nature à rendre la victoire possible. Il faut notamment que les Américains permettent aux Ukrainiens de frapper dans la profondeur du territoire russe, ou encore que les Allemands livrent en nombre des missiles Taurus aptes à jouer ce rôle. Emmanuel Macron a raison : «Nous ne pouvons accepter que la Russie gagne en Ukraine. Nous devons nous tenir aux côtés de l’Ukraine, parce que là-bas se joue notre capacité à vivre en paix.»� 
(Note du blog:C'est plus important pour la Nation et pour l'Europe que les "polémiques à la C... ,politicardes ,qui pullulent dans les médias et les réseaux sociaux!)
 
Illustration :
  • Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Dernier livre paru «La Guerre des mondes» (L’Observatoire). © ALAIN JOCARD / AFP
 
 


18/01/2024
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion