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Pierre-Henri Tavoillot : «La loi immigration n’a rien de xénophobe»

  • propos recueillis par Samuel Dufay, pour Le Point - décembre 2023
INTERVIEW. Le texte voté par le Parlement, qui favorise la cohésion nationale au détriment de la vitalité économique du pays, est un moindre mal, estime le philosophe.
 
Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences à la Sorbonne et spécialiste de philosophie politique, est l'auteur de Comment gouverner un peuple-roi (Odile Jacob, 2019). Il analyse les implications de la loi immigration adoptée mardi 19 décembre par le Parlement, qui opère, à ses yeux, une «clarification à la fois douloureuse et indispensable».
 
Le Point : À vos yeux, l'immigration est une nécessité économique mais un danger pour la cohésion nationale. Dans ces conditions, une bonne loi était-elle possible ?
 
Pierre-Henri Tavoillot : L'immigration ne peut être en effet réduite à zéro, pour des raisons démographiques et économiques. La France a inventé le droit d'asile. Enfin, notre rayonnement au-delà de nos frontières implique la venue d'étudiants et de chercheurs. Mais l'immigration actuelle est plus importante quantitativement pour des populations qui rencontrent une plus grande difficulté à s'intégrer. Elle a pris d'autres formes, notamment avec le regroupement familial. Enfin, un doute pèse sur le pays d'accueil, qui ne dispose plus des mêmes instruments que par le passé pour intégrer par le travail et cultive une forme de haine de soi. Dans ces conditions, la clarification en faveur d'un plus grand contrôle opéré par la loi est à la fois douloureuse et indispensable. Dans les situations tragiques, entre deux inconvénients, il faut choisir le moindre.
 
Reconnaître que nous n'arrivons plus à accueillir les immigrés comme nous le souhaiterions, n'est-ce pas un aveu de faiblesse ?
 
Disons que la masse est notable et le défi, considérable. Le modèle français, extrêmement généreux, correspond à une société pacifiée, dans le cadre d'une mondialisation heureuse. Il est à la fois inopérant et très coûteux dans un pays endetté à hauteur de 3.000 milliards d'euros ! D'autant plus que cette politique d'immigration n'a jamais fait l'objet d'une décision politique en tant que telle.
 
Cette loi suffira-t-elle à contrôler les flux ?
 
C'est une première étape, mais qui reste insuffisante. L'immigration est un défi européen. Une souveraineté européenne se dessine timidement : en attendant l'instauration de frontières solides à l'échelle du continent, il faut conserver des marges de souveraineté nationale. Je suis plutôt favorable à une modification de la Constitution. Le «bouclier constitutionnel» [proposé par LR, il ferait prévaloir sur le droit européen et international une loi organique, votée dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement ou par référendum, dont les mesures permettraient d'«assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation», NDLR] permettrait à la France de ne pas avaler de couleuvres, tout en restant dans le cadre de l'État de droit.
 
Les observateurs imaginaient que la majorité relative pousserait les parlementaires à faire des compromis…
Il me semble que nous sommes tout de même inscrits dans cette logique, dans la mesure où personne n'est totalement content, ce qui est le propre d'un compromis ! Le RN a fait un magnifique coup politique mais n'a pas vraiment participé à l'élaboration de la loi. L'aile gauche de la macronie est en crise. Quant à la gauche, elle est furieuse.
 
S'agit-il d'une posture ou est-elle sincèrement heurtée par ce texte ?
 
Elle a un besoin vital de cette opposition, c'est le dernier pilier qu'il lui reste. Sans la lutte contre l'extrême droite, elle est éparpillée façon puzzle entre la tendance républicaine et la tendance décoloniale. La loi ne comporte pas de préférence nationale façon RN. Elle n'a rien de xénophobe, ou alors c'est le monde entier qui est xénophobe… Quant à dire qu'elle a été votée par l'extrême droite, peu importe son contenu, c'est de la politique de cour de récréation. La gauche a voté avec l'extrême droite la motion de rejet. Ses contradictions sautent aux yeux.
 
 
Arrive-t-on à la fin du macronisme ?
Je ne sais pas. Le macronisme est objectivement séduisant sur beaucoup de sujets. Il est logique de chercher un point d'équilibre sur notre système social, les questions économiques, les nouvelles technologies. Sur la question de l'école, les jalons d'une transformation semblent en train d'être posés. En revanche, sur les sujets les plus difficiles, le «en même temps» n'est plus possible. Il est, par exemple, très périlleux pour l'intérêt national sur la question de l'endettement. La décision est nécessaire.�
  • Illustration : Pierre-Henri Tavoillot est maître de conférences en philosophie à l’université Sorbonne-Paris-4 et président du Collège de philosophie. @ HELENE BAMBERGER
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06/01/2024
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