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Delors

Riccardo Perissich TELOS 5 janvier 2024 première partie de l'article

 

 

Il n’était pas le candidat favori. Selon l’alchimie compliquée qui préside aux nominations européennes, à l’été 1984, il semblait certain que la présidence de la Commission de ce qui s’appelait encore la Communauté européenne reviendrait à un Français. Cependant, le candidat de Mitterrand n’était pas Jacques Delors mais Claude Cheysson, le ministre socialiste des Affaires étrangères le plus fiable et celui en lequel il avait le plus confiance. C’était ignorer l’opinion de plusieurs capitales, à commencer par Bonn et Londres, qui s’inquiétaient du tiers-mondisme trop marqué de Cheysson et de son atlantisme vraiment trop tiède, même pour un Français. Le nom de Delors, en revanche, recueillait une large approbation. Certes, il avait été l’artisan des nationalisations et d’autres décisions très contestées de la première phase du mandat de Mitterrand, mais ses réticences étaient aussi largement connues ; et après tout, il était surtout le principal artisan du redressement, de la fin de désinvolture budgétaire et du choix d’une politique de rigueur.

Une stratégie articulée

Hormis ceux qui l’avaient fréquenté pendant son mandat assez court au Parlement européen, rares étaient, hors de France, ceux qui le connaissent personnellement. Un simple coup d’œil à sa biographie, déjà riche, pouvait pourtant fournir des indications utiles. Issu du syndicalisme chrétien (la CFTC devenue CFDT), conseiller du « gaulliste éclairé » Chaban-Delmas, il avait finalement atterri au Parti socialiste, le tout sans jamais changer sa vision du monde. Ce parcours révélait le caractère d’un homme pour qui la cohérence des convictions personnelles comptait plus que le contexte politique particulier. Les premiers échanges firent apparaître à ses interlocuteurs européens certains traits d’un caractère qui n’était pas toujours commode, on comprit vite que le parcours du nouveau président ne serait pas un long fleuve tranquille. C’était vrai pour les responsables dans les capitales et pour ceux qui, comme moi, travaillaient à la Commission à Bruxelles. En effet, personne n’était habitué à ce qu’un Président commence son mandat avec une stratégie articulée. Celle de Delors n’avait pas mûri pendant ses années à Paris. Elle était le résultat réfléchi d’une tournée des capitales effectuée dans les mois précédant son entrée en fonction. La question à laquelle il se proposait de répondre était finalement simple : quel programme pouvait revitaliser des institutions européennes épuisées par de longues années passées à résoudre le problème de la contribution britannique au budget commun ?

Vers le marché unique

Beaucoup ont été surpris que le président désigné, de surcroît socialiste, soit revenu de son exploration convaincu que la stratégie gagnante consistait à achever le marché européen. Comme il le dirait lui-même des années plus tard (mais avec un succès déjà acquis), « personne ne tombe amoureux d’un marché ». En réalité, l’idée répondait à plusieurs impératifs du moment. Tout d’abord, elle permettait de redonner du dynamisme à une économie qui souffrait, selon la formule de l’époque, d’« eurosclérose ». Ensuite, elle ne rouvrait pas le débat douloureux sur les finances de la Communauté. Enfin, elle pouvait être le moyen de guérir définitivement la relation avec la Grande-Bretagne, qui n’était pas encore consolidée malgré le compromis laborieux obtenu quelques mois plus tôt. Les États membres approuvèrent ce choix, qui comportait un programme complexe de plusieurs centaines de décisions concrètes rapidement préparées par la Commission. Mais il s’avéra vite que les choses n’étaient pas si simples. Une chose est d’approuver un programme global, une autre d’en négocier de bonne foi les mesures individuelles. La bureaucratie de la Commission elle-même eut du mal à assimiler la nouvelle priorité. Enfin et surtout, le traité exigeait l’unanimité pour pratiquement toutes les décisions dont se tissait le programme.

 

Cela conduisit à une crise avec Margaret Thatcher, qui était a priori hostile à toute modification du traité. Après première confrontation au Conseil européen de Milan en juin 1985 et avec le soutien de presque tous les gouvernements, il fut possible de convaincre La Première ministre britannique que sans une réforme du traité, le programme resterait lettre morte. Le résultat fut l’« Acte unique », la réforme la plus importante avant Maastricht, sur la base de laquelle la majorité des décisions nécessaires à l’achèvement du programme pouvaient être prises à la majorité. Pour dynamiser politiquement l’opération, le soutien massif et décisif de l’industrie européenne fut déterminant, en convainquant les gouvernements que les bénéfices collectifs l’emporteraient sur le coût des inévitables compromis. Enfin, pour maintenir la Commission au centre des négociations et éviter la dispersion des énergies et les conflits bureaucratiques, Delors imposa une discipline interne, gérée au niveau politique par le vice-président britannique Lord Arthur Cockfield et au niveau administratif par une structure de coordination dont j’eus le privilège d’être responsable. En quelques mois, les acteurs internes et externes avaient appris à composer avec un homme politique parfois maladroit qui, chose extrêmement rare, parvenait à combiner vision et pragmatisme. Grâce à un climat économique favorable, ce qu’une commission du Congrès américain avait appelé « le plus programme de politique de l’offre jamais tenté » connut un succès plus grand qu’escompté. Delors avait proposé de donner au programme d’achèvement du marché intérieur un horizon de huit ans, en visant 1992. Le dynamisme acquis permit au Conseil européen de déclarer dès 1988 que le processus était devenu « irréversible ». Les initiatives visant à susciter l’adhésion des citoyens fleurirent, avec le programme Erasmus ou la décision de Delors de soutenir, malgré les réticences des juristes de la Commission, l’initiative de cinq pays de créer, en dehors du traité, l’accord de Schengen.

 

 

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05/01/2024
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