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 Du FLN au Hamas : quand le décolonialisme justifie le terrorisme

  • par Eugénie Bastié, pour Le Figaro - octobre 2023
ANALYSE - Des massacres du FLN jusqu'à ceux du Hamas en passant par Septembre noir, les penseurs décoloniaux ont souvent justifié le terrorisme. C'est le combat qui a opposé Sartre à Camus pendant la guerre d’Algérie.
 
Pourquoi ne condamnent-ils pas sans ambiguïtés? Pourquoi le mot «terrorisme» n'arrive-t-il pas à franchir leurs lèvres ? Devant l'incapacité persistante de la France insoumise, aussi intenable moralement que stupide politiquement, à condamner clairement le Hamas, on hésite entre la stupeur et l'incrédulité. Ce qui semble irrationnel et invraisemblable est ancré depuis très longtemps dans la psyché de l'extrême gauche : en réalité, le décolonialisme justifie le terrorisme.
Ainsi, le jour même des attaques, Najma Sharif une influenceuse musulmane afro-américaine a posté sur X: «Vous croyez que ça voulait dire quoi la décolonisation ? Une ambiance ? Des articles, des livres ? Loosers» , ajoutant : «Pas comme ça, mais alors comment ? Montrez-nous, LOL» (sic). Sous-entendu : les crimes du Hamas peuvent peut-être vous choquer, mais on ne décolonise pas un pays sans casser des œufs, les œufs en question fussent ils des bébés israéliens. Un tweet qui a été liké plus de 100.000 fois. Dans une manifestation à Time Square où barbus et cheveux bleus se donnaient la main, des panneaux étaient brandis avec ces slogans : «Quand les gens sont sous occupation, la résistance est justifiée ! Par tous les moyens nécessaires».
 

«L'équation est simple dans la tête des militants décoloniaux. La colonisation est le pire des crimes. Israël étant considéré comme un État colonial, tous les moyens sont justifiés pour y mettre fin.»

 
Par tous les moyens nécessaires. L'équation est simple dans la tête des militants décoloniaux. La colonisation est le pire des crimes. Pour la fondatrice des Indigènes de la République Houria Bouteldja et le penseur américain Noam Chomsky, le colonialisme est même pire que le nazisme. Israël étant considéré comme un État colonial, et même comme le dernier état colonial de la planète (bien que l'Occident tout entier soit en réalité postcolonial, mais passons), tous les moyens sont justifiés pour y mettre fin. Si Israël est un état colonial, la décolonisation est un impératif, et si la décolonisation est un impératif, elle passe forcément par le déplacement de corps, la valise ou le cercueil, le massacre. Si on accepte les prémisses, il ne faut pas en déplorer les conséquences.
 
C'est ainsi que l'attaque du Hamas est presqu'aussi bien accueillie sur des campus biberonnés au décolonialisme que par les foules des pays arabes. C'est ainsi qu'on voit le mouvement Black Lives Matters célébrer la descente en parapente des sbires du Hamas. C'est ainsi que la papesse de la théorie du genre Judith Butler en est venue à affirmer à Berkeley en 2006 qu'il faut considérer «le Hamas et le Hezbollah» comme des «mouvements progressistes, de gauche». C'est ainsi que la star de la génération me Too Mona Chollet, qui voit dans l'amour hétérosexuel une oppression des femmes, peut trouver qu'il est raciste de mettre des israéliens en Une de Libération. C'est ainsi que les mêmes personnes qui annulent des conférences parce qu'ils considèrent que les mots tuent, que les opinions blessent et le mégenrage est un affront fait à l'humanité sont prêts à relativiser des meurtres d'enfants, des viols de femmes et le massacre des innocents. Le décolonialisme justifie les pires contradictions.
 

«Les décoloniaux font souvent référence au fait que les Résistants furent appelés terroristes pendant l'Occupation pour justifier les crimes du Hamas. En réalité leur vraie référence historique n'est pas la Résistance (qui peut croire une seconde que les Résistants français eussent pu s'en prendre à des enfants allemands ?) C'est la guerre d’Algérie.»

 
Ce débat n'est pas nouveau. Les décoloniaux font souvent référence au fait que les Résistants furent appelés terroristes pendant l'Occupation pour justifier les crimes du Hamas. En réalité leur vraie référence historique n'est pas la Résistance (qui peut croire une seconde que les Résistants français eussent pu s'en prendre à des enfants allemands ?) C'est la guerre d'Algérie. C'est le même débat qui opposa Albert Camus à l'intelligentsia gauchiste pendant «les événements». Les massacres d'innocents commis par le FLN révulsèrent l’auteur de L’Homme révolté, et dès 1954, il dit son horreur pour «ces enfants français abattus à coups de revolver et ces colons isolés qu'on massacre sans coup férir». Il répugnait à utiliser le mot «terroriste» car il se souvenait que les Allemands s'en servaient pour désigner les Résistants. Il écrit pourtant dans Révolution prolétarienne contre l'assassinat du syndicaliste Ahmed Bekhat par le FLN «Il faut le dire au moins, et le plus haut possible, pour empêcher que l'anticolonialisme devienne la bonne conscience qui justifie tout, et d'abord les tueurs». Ce refus de tuer des innocents, même pour une cause qui semble juste, est au cœur de sa pièce Les Justes, où le terroriste Kaliayev refuse de jeter une bombe car il y a des enfants dans la voiture du tsar.
 
Face à lui Sartre, qui prend la posture inverse et justifie le terrorisme. Sa préface aux Damnés de la Terre de Frantz Fanon (qui surprendra Fanon lui-même par sa violence) est bien connue : «En le premier temps de la révolte, il faut tuer: abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un homme libre». Il alla encore plus loin, justifiant le terrorisme à l’égard d’Israël. Citons-le dans un texte publié dans la Cause du peuple le 15 octobre 1972 après les attentats de Munich qui coûtèrent la vie à 11 athlètes israéliens. «Dans cette guerre, la seule arme des Palestiniens est le terrorisme. C'est une arme terrible mais les opprimés n'en ont pas d'autre, et les Français qui ont approuvé le terrorisme du FLN contre des Français doivent également approuver l'action terroriste des Palestiniens»
Des mots qui rappellent ceux d'Edwy Plenel , sous le nom d’emprunt de Joseph Krasny, à la même époque dans Rouge : «Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre Noir.». Ils ont un écho sinistre aujourd’hui: aucun décolonial ne peut se désolidariser du Hamas.
 
Camus lui a tenu bon. Il tenait les deux bouts, la condamnation du terrorisme et celle de la répression aveugle du contre-terrorisme qui lui faisait souvent suite: «L'enjeu du combat contre le terrorisme n'est pas seulement de l'éradiquer mais aussi de ne pas lui donner raison, de ne pas consacrer sa logique perverse», prévenait-il.�
  • Illustration : Houria Boutedjla, disciple postcoloniale de Jean-Paul Sartre. AFP / THOMAS SAMSON / AFP
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24/11/2023
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