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Comment le Hamas manipule l'information et les réseaux sociaux

  • propos recueillis par Olivier Ubertalli, pour Le Point - octobre 2023
INTERVIEW. TikTok, X, Moscou, Pékin... Un «virus informationnel» s’est propagé après le drame de l’hôpital de Gaza, selon l’historien David Colon.
 
Le naufrage de la couverture médiatique du drame survenu à l'hôpital Al-Ahli de Gaza, le 17 octobre, restera dans les annales d'histoire. Comme Le Point l'écrivait, des agences de presse et des centaines de médias ont repris le communiqué du ministère de la Santé du Hamas sans prendre les précautions journalistiques nécessaires. En accusant l'armée israélienne d'avoir tué 500 civils dans un hôpital, le groupe terroriste a berné les médias du monde entier.
«Cette histoire de l'hôpital de Gaza rappelle les mensonges d'avant la guerre en Irak en 2003 ou le faux charnier de Timisoara, en Roumanie, en 1989», souligne David Colon, professeur à Sciences Po et auteur d'un essai passionnant, La Guerre de l'information, les États à la conquête de nos esprits*.
 
Ce spécialiste de l'histoire de la propagande et de la manipulation de masse décrypte les responsabilités de TikTok, de la plateforme X (ex-Twitter) d'Elon Musk, ainsi que l'impuissance de l'Union européenne face aux ingérences de Moscou et de Pékin dans nos univers informationnels.
 
Le Point : Une semaine après, quelle est votre analyse sur la couverture médiatique de la tragédie de l'hôpital de Gaza ?
 
David Colon : Nous avons assisté à un emballement médiatique qui a pour point de départ des dépêches d'agence qui ont relayé, sans les vérifier, ni les assortir de réserves d'usage, les informations fournies par le ministère de la Santé du Hamas. Or celui-ci dépend étroitement du mouvement terroriste.
La plupart des médias ont repris cette dépêche telle quelle. Même le New York Times a diffusé, à la une de son édition imprimée, une information – «Une frappe israélienne fait des centaines de morts, selon les Palestiniens» – qui a, depuis, été largement remise en cause par le journalisme d'investigation.
Cette histoire rappelle les mensonges d'avant la guerre en Irak en 2003 ou le faux charnier de Timisoara, en Roumanie, en 1989. Comme dit cette phrase célèbre attribuée à Winston Churchill ou à Mark Twain, «le mensonge fait le tour du monde avant que la vérité n'ait eu le temps de mettre ses chaussures».
 
Comment le Hamas utilise-t-il les médias et réseaux sociaux dans sa guerre contre Israël ?
 
C'est une guerre asymétrique puisque le Hamas a une faible possibilité de remporter une victoire militaire. En revanche, il est en capacité, à travers ses relais informationnels sur les réseaux sociaux et l'influence qu'il a sur la production journalistique – y compris les agences de presse occidentales –, de peser sur les opinions publiques. Et même sur nos débats politiques en France, théâtre secondaire de la guerre Hamas-Israël.
 
Cela n'est pas nouveau. Depuis l'intervention israélienne à Jénine en 2002, le Hamas, comme Daech et Al-Qaïda, a recours à l'information comme arme asymétrique. Il instrumentalise les caractéristiques de la production de l'information par les grands médias occidentaux pour y faire pénétrer – et parfois faire prévaloir – son récit.
Dès lors que les journalistes ne vérifient pas l’information, ils s’exposent à des virus informationnels.
Les propagandistes tirent profit de la réduction du nombre de correspondants à l'étranger et de la transformation au sein même des agences de presse. Celles-ci n'ont plus toujours les moyens de vérifier l'information et considèrent que ce n'est pas leur rôle. Elles s'assurent juste de l'exactitude de la citation rapportée.
 
Si le ministère de la Santé du Hamas dit qu'il y a eu 1.000 morts, elles répercutent cette information et considèrent avoir fait leur travail. Or les agences de presse sont au sommet de la chaîne de l'information mondiale puisque les contenus qu'elles produisent sont repris automatiquement par les médias, qui plus est avec un impératif d'urgence et d'immédiateté en temps de guerre.
 
Le journaliste Nick Davies du Guardian disait : «Le journalisme sans vérification est comme un corps humain sans système humanitaire.» Cela signifie que, dès lors que les journalistes ne vérifient pas l'information, ils s'exposent à des virus informationnels comme celui qui s'est propagé en un temps éclair mardi 17 octobre au soir. Une journaliste du service public a été jusqu'à publier un tweet affirmant qu'il y avait eu 1.000 morts.
 
En quoi les atrocités perpétrées le 7 octobre par le Hamas représentent-elles un tournant dans cette guerre asymétrique ?
Avec cette attaque, le Hamas a bénéficié des évolutions récentes de l'environnement informationnel en ligne. D'abord, X n'enraye plus la propagation de contenus violents et terroristes. Non seulement parce que les équipes de modération ont disparu mais aussi parce que les modifications apportées à la plateforme par Elon Musk ont pour effet de les amplifier. N'importe qui peut désormais acquérir le badge de certification.
En outre, X a manifestement laissé prospérer de faux comptes, des trolls, des botnets [un réseau d'équipements connectés à Internet qui exécutent des tâches malveillantes, NDLR], y compris des systèmes d'amplification artificielle de contenus. Cela offre une caisse de résonance aux contenus violents, terroristes et conspirationnistes que l'on n'avait plus connus depuis 2015-2016. À cette époque, les grandes plateformes avaient pris des mesures pour enrayer la propagation de tels contenus.
 
TikTok est ainsi une arme informationnelle redoutable, particulièrement addictive.
Il y a aussi un nouvel acteur, TikTok, dans l'environnement informationnel… Cette plateforme est actuellement la plus active dans la désinformation. Elle favorise la diffusion de contenus d'incitation à la haine et à la violence, pornographiques ou poussant à l'automutilation, lesquels sont consultés par des enfants. Elle est subordonnée au Parti communiste chinois et sert, par conséquent, les intérêts géostratégiques de Pékin.
La doctrine de l'Armée populaire de libération est, depuis 2019, une guerre «intelligentisée», qui s'appuie sur la diffusion massive de contenus et le recours à la guerre cognitive. Il s'agit, pour Pékin, d'influencer l'environnement informationnel de l'adversaire pour agir sur son cerveau dans le but d'altérer ses mécanismes de compréhension du monde réel et des prises de décision.
 
TikTok est ainsi une arme informationnelle redoutable, particulièrement addictive. Elle se présente comme une plateforme de divertissement et n'apparaît pas, de prime abord, comme le relais d'une campagne de propagande. Pourtant, une étude a récemment montré qu'il suffit de quarante minutes à un utilisateur de TikTok pour être confronté à la désinformation, notamment d'origine russe.
Il n'est pas innocent que TikTok ne soit disponible qu'à l'extérieur de la Chine. En République populaire de Chine, ByteDance propose une autre application, Douyin, assujettie au régime de censure communiste.
 
Comment faire jouer la responsabilité de X et de TikTok ? Le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton s'est récemment plaint. L'Union européenne dispose-t-elle de moyens pour se protéger ?
 
La Commission européenne a publié, à l'été 2023, le bilan de l'accord de partenariat signé avec un grand nombre de plateformes en 2018. Son constat est clair : ce dispositif reposant sur l'autorégulation des plateformes a échoué et n'a pas enrayé, notamment, la diffusion massive de théories du complot et de contenus violents.
 
Le règlement européen sur les services numériques, le Digital Services Act – le DSA –, entre progressivement en vigueur. On peut d'ores et déjà faire le constat de son inefficacité dans une situation comme celle de la guerre entre Hamas et Israël. La volonté régulatrice européenne se heurte à la mauvaise volonté manifeste des acteurs concernés.
La réglementation européenne n’est pas adaptée à la propagation massive de la désinformation à l’ère de l’intelligence artificielle.
 
Elon Musk vient d'un courant libertarien, et il n'a jamais caché le mépris que lui inspire toute forme de norme. La réglementation européenne, y compris le DSA, n'est pas adaptée à la propagation massive de la désinformation à l'ère de l'intelligence artificielle générative, qui crée de faux comptes, de fausses images, de fausses vidéos, de faux enregistrements audio et prédit la fragilité psychologique des utilisateurs pour l'utiliser afin de désinformer.
 
Quelles sont les solutions ?
Je plaide pour une approche totalement différente de l'autorégulation et la tentative de régulation. Il faut créer de manière urgente un réseau social de service public européen placé sous une autorité indépendante à l'égard des États. Il ne reposerait ni sur une architecture publicitaire, ni sur la collecte et l'exploitation systématique des données à des fins de microciblage, ni sur l'amplification artificielle de contenus.
 
Ce réseau social de service public européen constituerait une zone sûre qui nous préserverait de la désinformation sans pour autant porter atteinte aux principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés, à savoir la liberté d'expression et la liberté d'opinion.
 
Vous parlez d'un axe désinformateur Moscou-Téhéran-Pékin. De quoi s'agit-il ?
À la fin de la guerre froide, les États-Unis ont fait prévaloir leur domination informationnelle à l'échelle globale en s'appuyant notamment sur leurs médias pour tenter de détruire les derniers régimes autoritaires. Ceux-ci ont perçu cette menace et ont réagi en protégeant leur population des ingérences informationnelles venant de l'extérieur.
 
Ils se sont dotés de nouvelles armes informationnelles, comme des médias internationaux dans différentes langues [par exemple Russia Today, NDLR]. Ils ont lancé des opérations guerrières informationnelles pour fragiliser nos démocraties.
Or il y a une alliance entre ces régimes autoritaires. La Chine et la Russie ont par exemple signé, en 2015, un accord de non-agression dans le monde cyber. L'une des raisons pour lesquelles la désinformation occupe tant de place dans notre environnement dans cette guerre Hamas-Israël est que la Russie a engagé son appareil de désinformation.
 
Moscou cherche-t-il à faire oublier la guerre en Ukraine ?
Le Kremlin veut diffuser le plus largement possible certains narratifs désinformateurs affirmant que le soutien envers l'Ukraine périclite au sein des États occidentaux. Le conflit Hamas-Israël permet d'amplifier ce narratif. Les organes de désinformation du Kremlin s'emploient à accréditer l'idée que la guerre au Proche-Orient va conduire mécaniquement à un désengagement des États-Unis auprès de l'Ukraine.
 
Dans le même temps, les services de renseignements russes, et vraisemblablement la Direction générale des renseignements de l'armée russe, ont monté la fausse information selon laquelle l'Ukraine aurait donné des armes au Hamas. Il s'agit, pour eux, d'accréditer ce récit désinformateur selon lequel l'Ukraine serait une nation de nazis qui armerait le Hamas pour exterminer les Juifs.�
 
 
Illustration :
  • David Colon. @ DR
  • L'Union européenne est exposée aux «virus informationnels». © Igor Stevanovic/Science Photo Library via AFP
 
 
 


10/11/2023
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