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Le prophète et les déracinés

  • par Franz-Olivier Giesbert, pour Le Point - septembre 2023 Republié par Jacques Antoine Louis Rossi
Contre la «médinisation» d’une partie de la gauche, qui flirte avec l’antisémitisme, il faut en finir avec la déculturation et le communautarisme.
 
En cette rentrée, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : en interdisant l'abaya dans les établissements scolaires, Gabriel Attal a montré qu'un ministre, dans ce pays, ça pouvait encore décider - si le très progressiste Conseil d'État le laisse faire. En attendant, bravo et merci ! Quant à la mauvaise nouvelle, elle s'appelle Médine.
 
Qu'est-il en train d'arriver à notre pays ? À quel niveau d'indigence mentale sommes-nous tombés pour que notre vie intellectuelle tourne, pendant des jours, autour d'un rappeur de troisième zone mais non sans talent, qui aime jouer - on s'amuse comme on peut - avec l'antisémitisme ?
 
Biberonné au lait de la confrérie antijuive des Frères musulmans, Médine n'est pas antisémite, paraît-il. C'est aussi ce qu'il dit, ce qu'il jure. Soit. Il est cependant obsédé par la question juive et aime envoyer à son propos des signaux contradictoires, comme on peut le constater à la lecture du livre médiocre (1), cosigné avec son compère Pascal Boniface, géopoliticien «antisioniste» et thuriféraire du Qatar. Il n'est pas le problème. Il n'est que le symptôme qui frappe la gauche.
 
La gauche est-elle encore la gaucheCertes, elle survit encore dans les esprits grâce à des personnalités qui continuent à l'incarner, non sans panache souvent. À l'extérieur de la Nupes mais aussi en son sein, avec le communiste Fabien Roussel ou l'Insoumis François Ruffin. Elle a néanmoins rompu depuis longtemps avec son passé et ses racines populaires, abandonnées au Rassemblement national qui a peu à peu accaparé ses valeurs ancestrales, celles que célébrait Jean Jaurès : la République, le travail, la laïcité, l'intégration, etc. Elle braille, elle buzze, c'est tout ce qu'elle sait faire. D'où l'inéluctable décomposition idéologique qui l'amène aujourd'hui à récupérer l'antisémitisme pour complaire à l'électorat islamiste des «quartiers populaires».
 
Appelons un chat un chat. La tragédie de cette gauche phagocytée par ses extrêmes, elle crevait les yeux quand on observait, ces derniers jours, la sociologie des pèlerins qui accueillaient leur nouveau prophète, Médine, aux universités d'été de LFI ou d'EELV. Rien à voir avec «le métro à six heures du soir», comme disait jadis Malraux à propos des troupes du RPF, le parti du Général. Ce sont à peu près tous des néobourgeois urbains abreuvés de Netflix et de pensée magique, qui, souvent, n'ont jamais vu de leur vie une vache ou un ouvrier, voire un immigré. Ce sont aussi des néobigots hors sol, mondialisés, qui ont la haine de leur pays au ventre et rêvent d'islamiser les «quartiers populaires», quitte à répudier leurs combats anciens pour le féminisme ou contre l'homophobie.
 
Tels sont les effets du déracinement, la nouvelle grande maladie française. Le meilleur antidote à cette dérive d'une partie du pays, on le trouve dans un livre majeur, L'Enracinement (2) de la philosophe Simone Weil (1909-1943) dont Albert Camus, qui le publia en 1949, après la mort de l'auteure, considérait qu'elle était «le seul grand esprit de notre temps». La thèse de Weil était prophétique : quand les déracinés «ne tombent pas dans une inertie de l'âme presque équivalente à la mort […], ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou qui ne le sont qu'en partie». Et de conclure : «Qui est déraciné déracine.»
 
Réenracinons-nous ! Contre la «médinisation», ce devrait être le mot d'ordre d'un président digne de ce nom. On ne peut qu'approuver Emmanuel Macron quand il appelle les partis politiques à « faire nation ». Il n'est que temps, alors qu'elle s'éparpille façon puzzle. Mais, pour ce faire, il faut en finir avec l'idéologie officielle de la déculturation, l'une des grandes maladies de notre époque avec le cynisme et le communautarisme mou. Pour nous guérir de tous ces maux, un bon conseil : réservez, en attendant de vous jeter dessus, le nouveau livre de Gilles Kepel, Prophète en son pays (3), une autobiographie intellectuelle, vitriolesque parfois, ironique souvent, qui sort le 6 septembre.
 
«Prophète en son pays», de Gilles Kepel, c'est le miroir de nos peines et de nos faiblesses. Une leçon de vie et un beau testament. Voilà un grand chercheur et universitaire français, spécialiste de l'islam, arabisant, à la réputation mondiale, dont les analyses se sont souvent révélées justes. Après avoir longtemps été pris pour cible par les tenants des idéologies dominantes à l'université, tiers-mondistes puis islamo-gauchistes, il a finalement été interdit d'enseignement : son programme d'études sur le Moyen-Orient et la Méditerranée a été supprimé, l'an dernier, de l'École normale supérieure.C'est toujours un grand tort d'avoir raison trop tôt. «Nul n'est pas prophète en son pays», conclut Gilles Kepel avec humour. Mais qu'importe, puisque la gauche extrême et ses déracinés ont au moins trouvé leur prophète : le Havrais Médine, qui a bien profité de la dernière promotion du mois.�
  1. «Don't Panik» (Desclée de Brouwer, 224 p., 17,90 €).
  2. Éditions Gallimard, «Folio essais».
  3. Éditions de l'Observatoire.
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11/09/2023
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