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À Nantes, les Soulèvements de la terre saccagent l’écologie

  • par Géraldine Woessner, pour Le Point - juin 2023 Article republié par JARL

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La destruction dimanche, près de Nantes, de cultures expérimentales et de plants de muguet par le collectif décroissant Rangées de salades saccagées, serres éventrées, plants de muguet arrachés… Organisée ce dimanche en Loire-Atlantique, la dernière action du collectif autoproclamé «écolo» les Soulèvements de la Terre a provoqué une vague d'indignation, et laissé un goût amer à certains de ses soutiens les plus modérés…
 
«Ces destructions me plongent dans une complète incompréhension», a sobrement tweeté la climatologue Valérie Masson-Delmotte, figure française du Giec, qui avait pourtant publiquement dénoncé, au grand embarras de ses collègues, les menaces de dissolution pesant sur le collectif créé en janvier 2021 par d'anciens zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Si les violences contre les bassines de Sainte-Soline n'avaient pas troublé leurs soutiens, la destruction de cultures locales et d'expérimentations particulièrement vertueuses pour le climat les ont consternés, comme le déroulé général d'une journée d'action évoquant davantage, derrière les discours de «Grand Soir», d'obscurs règlements de comptes locaux.
 
«100 jours pour les sécher»
L'appel avait été lancé par les Soulèvements de la Terre dans le cadre d'une nouvelle séquence médiatique entamée début juin. «Alors que la sécheresse fait des ravages, l'État et l'agro-industrie s'acharnent à polluer et privatiser l'eau», gronde le collectif dans le communiqué, annonçant «100 journées d'action pour cibler directement les institutions, les entreprises et les infrastructures qui accaparent et empoisonnent l'eau».
Le tract, détaillé, pointe avec précision quelques cibles : «Les agences de l'eau, les conseils régionaux», les acteurs agricoles comme «la FNSEA, le Crédit agricole, Groupama», des coopératives, une liste d'entreprises (Suez, Veolia, Danone…), tout en appelant à «mettre des terrains de golf hors d'état de nuire» ou à «squatter les piscines des ultra-riches». Mais nulle part, il n'est alors conseillé de saccager la recherche ni de piétiner des champs de fleurs…
 
Ancrage local
Dimanche matin, quelque 1.500 manifestants se rassemblent autour de Nantes, avec pour mot d'ordre la lutte contre «l'exploitation du sable». Le point de ralliement est fixé aux abords du village de Saint-Colomban (3.300 habitants), où sont exploitées deux carrières qui fournissent les entreprises de maçonnerie, du bâtiment, et les maraîchers locaux.
L'endroit est symbolique : après un référendum des habitants qui s'y sont déclarés favorables en janvier 2022 (à une large majorité) et un vote des élus de plusieurs communes, les carrières doivent être agrandies de 70 hectares. «Accaparement!» «Mainmise capitaliste sur les terres !», dénoncent les opposants, qui n'étaient au départ qu'une poignée de riverains (parmi lesquels un agriculteur bio, dont les terres se situent précisément entre les deux carrières). La population, majoritairement favorable au projet, leur tourne le dos… Et leur combat s'essouffle. Leur appel aux Soulèvements de la Terre pour organiser la lutte relance la contestation, et lui donne une audience nationale.
 
Muguet «industriel» et serres «capitalistes»
À l'aube, dimanche, des dizaines de grosses voitures s'agglutinent dans une prairie, desquelles les manifestants sortent leurs vélos acheminés depuis Nantes, puisque la manifestation, pour les caméras, doit se faire à vélo.
Mais en sortant du « Redour » à Saint-Philibert, alors que les carrières sont à peine à quinze minutes de marche, à droite sur la départementale, les manifestants tournent… À gauche, en direction de Nantes, toutes banderoles déployées. Sur le chemin, ils croisent un champ de muguet appartenant à l'entreprise Vinet, dénoncée comme «maraîcher industriel». «Le muguet n'est pas une culture alimentaire», vocifèrent les manifestants, qui se ruent dans le champ pour arracher les plants. De fait : le muguet ne se mange pas, il est irrigué, et le maraîcher produit 15 millions des 60 millions de brins vendus chaque année le 1er mai. Au plus fort de la cueillette, il peut employer jusqu'à 1.000 saisonniers… Quand il trouve à embaucher : la main-d'œuvre acceptant de rester courbée pour ramasser les brins se fait de plus en plus rare, rapportait la presse locale au printemps.
Quelques kilomètres plus loin, les manifestants croisent un autre symbole : les serres expérimentales de la Fédération des maraîchers nantais. Le regroupement professionnel rassemble quelque 200 producteurs de légumes, de toutes tailles et de tous modèles : certains exploitent de grandes superficies de serres, d'autres exploitent en bio de minuscules parcelles ; certains alimentent la grande distribution locale, d'autres font exclusivement de la vente directe…
«Des maraîchers industriels», estiment sans nuance les manifestants, sans que l'on sache très bien ce que recouvre le terme. Des bâches de serres sont éventrées, et les plantations de salades piétinées. Ce sont «des plants expérimentaux, non destinés à la consommation, mais à renforcer les schémas productivistes», argumentent les Soulèvements de la Terre. Sur place, le président de la Fédération des maraîchers nantais, Régis Chevallier, en a le souffle coupé.
 
Les cultures consommant moins d'eau et moins de pesticides détruites
Lui-même, décrit comme «un agro-industriel», exploite une quinzaine d'hectares sous de grands abris de plastique, et fait pousser de la mâche, des poireaux, des pousses d'épinards… «Je ne comprends même pas ce que c'est, un “maraîcher industriel”», dit-il. Dans le département, sa filière représente 4.500 hectares de maraîchage, dont quelque 500 ha en «serres froides», sous des abris plastiques, et 150 ha de serres chauffées, où croissent des tomates, des concombres… «Et on nous compare à l'Andalousie, où les fermes font plusieurs milliers d'hectares, et d'où nous importons les produits !» Il s'étrangle. La France importe aujourd'hui plus de la moitié des légumes qu'elle consomme. Et sous les serres expérimentales détruites, la profession s'efforce de préparer l'avenir…
Car les manifestants l'ignorent alors, mais ils viennent de détruire quelques-uns des meilleurs espoirs de lutte contre le réchauffement climatique. Sur ce site, les 200 maraîchers locaux ont mis leurs moyens en commun, pour trouver les cultures sobres en eau et en intrants de demain. Sous ces serres sont testées les dernières trouvailles de biocontrôle, les nouvelles techniques agricoles… Autour des rangées de salades détruites ce dimanche, les agronomes avaient planté des bandes fleuries, «pour voir si elles étaient susceptibles d'attirer certains insectes auxiliaires utiles à la protection de la culture, afin de nous passer de pesticides», détaille Régis Chevallier.
 
Plus haut dans la serre était testé un nouveau système d'irrigation goutte à goutte, fortement recommandé par le Giec pour économiser l'eau. Un dernier essai de «sol vivant», détruit lui aussi, visait à étudier les couverts végétaux pouvant remplacer les engrais chimiques. «Le pire, c'est que nous connaissons les opposants locaux, ils sont venus nous rencontrer il y a deux ans. Eux considèrent simplement que nous n'avons pas besoin de produire. Ils se sont radicalisés depuis l'arrivée des Soulèvements de la Terre.»
 
Diabolisation de l'«adversaire»
Le mouvement décroissant, qui revendique des actions dans toute la France ciblées contre «les outils du capitalisme» qu'ils promettent de «désarmer», a soigné son argumentaire, reposant sur une base immuable de mots-clés. «Accaparement» des terres ou de la ressource, «agro-industrie», «techno-solutionnisme illusoire», «maladaptation», «surconsommation», «complexe agro-industriel», «lobbys»… «Que brûle l'agro-industrie !», scandent les manifestants devant les salades flétries, avant de les peindre en rouge sur la serre déchirée. «Tout leur vocabulaire vise à nous caricaturer comme des monstres, des bandits. Comment voulez-vous qu'on discute ? Ils ne sont pas là pour défendre un modèle, mais pour nous taper dessus», constate Régis Chevallier.
 
Au miroir de l'eau, à Nantes, les manifestants satisfaits rejoignent d'autres cortèges, après avoir coupé et scellé l'arrivée d'eau d'une centrale à béton. D'autres activistes ont manifesté contre le transfert de l'actuel centre hospitalier universitaire (CHU), et muré l'entrée de Nantes Métropole Aménagement, «la première opération de murage biosourcée à base de bottes de paille et d'enduits de terre crue», applaudit le collectif. On pique-nique sous le soleil en écoutant les discours de la CGT ou du mouvement altermondialiste Attac. Les plus chanceux décrochent un selfie avec quelques élus présents, dont la députée EELV Julie Laernoes.
 
Impuissance des autorités
Et tandis que les manifestants se congratulent, préparant déjà leurs prochaines actions – la première le 17 juin contre un méthaniseur du département à Varades, une autre le même jour contre la nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin –, le malaise monte. Comment justifier le sabotage des solutions contre les maux qu'on dénonce ?
 
Au mois d'août, les militants participeront à un rassemblement sur le plateau du Larzac, avant de lancer un convoi de l'eau qui s'élancera de Sainte-Soline pour rejoindre Paris. «Le calendrier des casseurs est connu, leurs intentions violentes claires et assumées. Qu'attendent les autorités pour agir ?» tonnent sur les réseaux sociaux des centaines d'agriculteurs, excédés. Paniqués, surtout, à l'idée de ne pouvoir parvenir à tenir longtemps leurs troupes. «Il va y avoir un drame», souffle un représentant de la FDSEA, en Loire-Atlantique. «C'est tout ce que les casseurs attendent, ils veulent leur martyr…» En dehors de messages lénifiants de soutien, aucun mot des pouvoirs publics. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a demandé audience au ministre de l'Intérieur – il n'avait, lundi soir, pas reçu de réponse.
«La stratégie des Soulèvements de la Terre est redoutablement efficace.» Hervé Le Prince, spécialiste des mouvements radicaux.
«La stratégie des Soulèvements de la Terre est redoutablement efficace», décrypte l'expert en communication Hervé Le Prince, spécialiste des mouvements radicaux, qui a analysé la façon dont le mouvement étend sa toile, se nourrissant de rancœurs, de querelles et de conflits de voisinages ultra-locaux. «Comme dans le cas des carrières de Saint-Colomban, ou celui de l'extension du stade de Rennes, il suffit d'un rien. Un minuscule projet local, approuvé par la majorité, rencontre l'opposition d'une poignée de personnes. Un professeur retraité, deux étudiants, des riverains… Leurs recours en justice capotent, alors ils font appel aux Soulèvements de la Terre, qui collent sur leur combat leur argumentaire simpliste, toujours le même, et leurs méthodes violentes. Les médias déferlent, la querelle locale devient nationale, et fige les projets…»
 
Les Soulèvements de la Terre, créés il y a tout juste deux ans, disposent aujourd'hui de 170 comités locaux et d'une base de mobilisation par e-mail de plus de 100.000 personnes. Gérald Darmanin, qui avait promis il y a trois mois la dissolution du collectif, s'est cassé les dents sur sa nature multicéphale. «Comment voulez-vous dissoudre Attac ou la Confédération paysanne ?» s'emporte un conseiller du pouvoir. Au 31 décembre 2021, le fonds de dotation créé par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, désormais carburant des Soulèvements de la Terre, avait accumulé un pactole de 780.223 euros. Largement suffisant pour financer des actions.�
  • Illustration : À Nantes, les Soulèvements de la terre saccagent l’écologie - Durée 01:31 - Rangées de salades saccagées, serres éventrées, plants de muguet arrachés…
 
 
 
 
 
 
 
 


23/06/2023
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