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Tristane Banon : «Il est compliqué de défendre l'égalité et en même temps le voile»

  • propos recueillis par Rachel Binhas, pour Marianne - février 2023 Republié par JALR
Avec «Le péril Dieu» (éditions de l’Observatoire), elle règle ses comptes avec l’opium du peuple. Refusant de voir les droits des femmes se rétrécir, l’essayiste Tristane Banon couche sa colère sur le papier vis-à-vis du patriarcat et dénonce la misogynie des religions. Rencontre avec un écrivain qui n’a jamais mâché ses mots. Entretien
 
Marianne : Pourquoi ce plaidoyer pour les femmes et contre le radicalisme religieux aujourd’hui ? Y a-t-il eu un évènement déclencheur qui vous a fait prendre la plume ?
 
Tristane Banon : Il y en a eu plusieurs. Déjà dans mon essai La Paix des sexes (éditions de l'Observatoire, 2021), je notais le refus par une partie du féminisme actuel de dénoncer la misogynie religieuse. L’affaire Mila en est un exemple révélateur. Menacée par les fondamentalistes, elle a reçu très peu de soutien : certaines féministes ne voulaient pas être taxées d'islamophobes. L’attaque en «islamophobie» rend bien des services aux intégristes. En calquant un racisme – ce qui est illégal – sur une critique de la religion – ce qui est sain – elle bâillonne tout questionnement. De manière générale, beaucoup de féministes restent très frileuses face aux sujets touchant au religieux. Souvenez-vous des deux premiers tweets de Sandrine Rousseau au tout début de la révolution iranienne à la suite de la mort de Mahsa Amini. Elle parvient à ne pas citer une seule fois le mot «voile» tandis que les Iraniennes brûlaient leur foulard. C’est une acrobatie intellectuelle à saluer !
 
De nombreuses voix au sein du courant féministe défendent régulièrement le port du foulard dans les compétitions sportives ou le système scolaire. Il est pourtant compliqué de défendre l'égalité et, dans le même temps, le port d’un vêtement parfaitement sexiste et qui, d’ailleurs, n'est pas présenté autrement dans le Coran. J’entends souvent des féministes dénoncer le sexisme systémique dans lequel on vivrait. Je m’inscris en faux. Car la France n'est pas gouvernée par des lois selon lesquelles on vivrait sous un régime sexiste systémique. En revanche, il y a un sexisme systémique religieux et, selon moi, elles refusent de s’y confronter par intérêt politique ou intersectionnel, et par peur, justifiée, dans un contexte d’attentats et d’assassinats avec la mort de Samuel Paty…
 
Faites-vous une différence entre radicalisme religieux et les religions en général ?
 
Je fais une différence entre le radicalisme religieux et la croyance ou la foi. On peut parfaitement être croyant et rejeter la misogynie des textes religieux, décider de ne prendre dans la religion que ce qui convient à son humanisme, à l'universalisme que l'on porte en nous. Cependant, les trois religions ont chacune des courants fondamentalistes observables actuellement et cet intégrisme est en hausse au sein des trois monothéismes.
 
Vous en voulez aux «grands marionnettistes de droit divin, ceux qui décident du sens à donner aux textes». Dieu est donc victime de ses croyants ! La Bible, le Coran, la Torah seraient victimes des prêtres ?
 
Je ne sais pas si Dieu est victime de ses croyants car je ne connais pas Dieu ! Ce qui est certain, c'est qu'il y a un dévoiement des textes par ceux qui sont chargés de les interpréter. On peut se demander quels seraient les textes qui seraient arrivés jusqu'à nous si, des années durant, des femmes avaient été chargées de les interpréter. Il ne faut pas oublier que les textes religieux ont été écrits à des époques précises et que vouloir appliquer à notre temps les règles d'une période historique foncièrement patriarcale est indigne. Comprendre le contexte historique pour saisir le dévoiement des textes est essentiel, c’est ce que je me suis attaché à faire. Par exemple, lorsqu'est né l'islam, au VIIe siècle, il est décidé que la femme aurait désormais une part de l’héritage, quand l'homme en recevra deux. Pour l'époque, cette règle est presque féministe, car les sociétés n’ouvrent pas jusque-là l’héritage aux femmes. Mais vouloir appliquer cela en 2023 est abject. Voilà ce qui doit être la grandeur de ceux qui interprètent les textes, les faire avancer avec l'époque.
 
Pareillement, la question du voile se pose. Le voile représente cinq versets sur plus de 6.200. On y apprend que le voile n'est absolument pas un vêtement que la femme doit porter par respect envers Dieu. C'est un vêtement prescrit, à l'époque, aux femmes mariées pour qu'elles soient soustraites aux regards des autres hommes. En effet, l'homme a peur de léguer ses biens à un enfant qui ne serait pas de lui. Le meilleur moyen de transmettre l’héritage à un enfant dont il soit certain de l’origine, c'est de s’assurer que sa femme ne le trompe pas. Et donc que les autres hommes ne puissent pas la voir. Et comme la femme est la «chose» de l'homme à cette époque, il la couvre. Dans le Coran, il est dit qu'une fois ménopausée, la femme n'a plus l'obligation de porter le voile, ça ne laisse que peu de place au doute quant à l’objectif véritable de ce voilement. Le voile a également une fonction politique, dans un contexte d’expansion territoriale. Voiler les femmes est une manière de savoir quels sont les territoires déjà conquis. Il n'y a aucune histoire de respect envers Dieu dans le port du voile, à aucun moment.
 
L’imame Kahina Bahloul, la femme rabbin Delphine Horvilleur… Quel regard portez-vous sur les figures religieuses ? Peuvent-elles être féministes malgré leur foi ?
 
Tout d’abord, je suis admirative de ces femmes. Ensuite, si on ne peut être «féministe religieuse», il est tout à fait possible d’être féministe et religieuse. Delphine Horvilleur explique être féministe et juive mais pas «féministe juive» puisque, selon ses termes, calquer un agenda féministe aux textes religieux est impossible. On peut revendiquer d’être double. Néanmoins la moitié féministe s’opposera forcément, à un moment ou à un autre, à certaines dispositions des textes défendus par la moitié «religieuse». Être féministe religieuse est un oxymore impossible.
 
«Le retrait du foulard est un geste politique et non religieux» écrivez-vous. Il n’y a de voile que politique alors ?
 
En fait, ce retrait n'a rien à voir avec le fait de croire ou pas en Dieu. Lorsque les Iraniennes se sont mises à retirer leurs voiles, il n'est venu à l'idée de personne de penser que ces femmes ne croyaient plus en Dieu. Le rapport à la foi relève de l’intime. Ce que les femmes ont rejeté, en enlevant leur voile, c'est l'organisation du régime islamique et le contrôle politique exercé par le religieux.
 
Le voile n'a pas de signification différente en France, en Iran, ou ailleurs dans le monde. Partout, il est un vêtement sexiste et politique, symbole de soumission de la femme. La différence entre le voile en France et en Iran réside dans le régime politique au sein duquel il est porté : en Iran il est obligatoire. En France on est libre de le porter ou pas, et il faut que cela reste ainsi. Quand on compare le voile en France et le voile en Iran, on ne compare pas des voiles différents, on compare des régimes politiques différents. Ceci étant dit, il y a évidemment des femmes qui portent le voile pour d'autres raisons que d'afficher leur soumission ou de participer à une opération d'emprise politique de l'islam, mais ça ne change rien à la signification de ce vêtement à laquelle l’universaliste que je suis ne peut pas adhérer.
 
Notons que le voile est originellement un vêtement païen, introduit en religion non par les musulmans mais par les catholiques – saint Paul précisément – et qu'il n'est là encore que sexisme. Néanmoins, dans la religion catholique, le voile est exigé dans son rapport au père, alors que dans le Coran, le rapport à Dieu n’est pas le sujet. Régulièrement, des féministes affirment que l’on ne peut juger un vêtement qui unit un croyant à Dieu. Avec le voile islamique, elles sont hors sujet : c'est une organisation de la société qui est en jeu.
 
Plusieurs pages sont consacrées à Lénine. Vous écrivez : «Après la révolution d’Octobre (…) les bolcheviques décident aussi d’améliorer le statut social des femmes (…)» Avec Lénine, des progrès sont réalisés, mais avec Staline, les droits des femmes vont fortement reculer. En particulier, l'interdiction de l'avortement à partir de 1936, Trotski parlera d'un «Thermidor au foyer». Comment l'expliquez-vous ?
 
Lénine décide, pour libérer la femme, de mutualiser bon nombre de services qui, au départ, faisaient sa soumission. On propose alors des crèches, des restaurants, des laveries automatiques… Mais les infrastructures souffraient d'un manque de moyen et l’accès à ces prestations dans les zones rurales restait difficile. Ensuite vient le stalinisme, très violent, qui va chercher à contrôler de manière totalitaire la société. Cette dérive est forcément vouée à l'échec, que ce soit pour une religion ou un programme politique. Mais ce qui m’a intéressée dans cette période de l’histoire, c’est de montrer comment le féminisme, la lutte ouvrière, la naissance de la gauche et de l’extrême gauche et le refus des dogmes sont intimement liés. Ainsi, se prétendre de gauche et refuser de défendre l’égalité au motif que l’on refuse de s’opposer au fait religieux est un contresens historique.
 
Les femmes religieuses peuvent aussi cultiver une misogynie particulièrement violente. Sont-elles, elles aussi, victimes idéologiquement des hommes, selon vous ?
 
C'est compliqué de vous répondre car on ne peut pas généraliser… Mais il est certain qu'elles ont pu être très violentes face aux enjeux d'émancipation. Et parfois même, parmi les plus virulentes, quand il s’agit de s’opposer à l'IVG en France par exemple. Est-ce parce que, ayant grandi dans des univers très religieux, elles ont totalement intégré ces principes et les défendent, pensant ainsi se défendre elles-mêmes ? Ou est-ce parce qu'elles sont victimes de ce que les hommes religieux leur font entendre ? Dans quelle mesure tout cela est-il conscient d’ailleurs… Quoi qu’il en soit, elles en sont venues à faire leur un système qui leur en veut en tant que femme.
Chez Nietzsche, la mort de Dieu amène le nihilisme et le chaos quand pour Voltaire ou Marx, c’est un monde pacifié qui s’ouvre. Quel est votre camp ?
 
Celui de Spinoza ! Pour lui, il n'y a rien dans les Écritures qui ne soient pas des évidences de vie auxquelles la réflexion peut conduire. Par exemple, par le biais de nos valeurs humanistes, nous pouvons arriver à la fameuse injonction : «tu ne tueras point». Si l’on va chercher dans la religion seulement ce qui peut nous permettre d'avoir une vie plus droite, ce qui répond à des codes de vie en société évidents, ou même une béquille pour traverser les moments difficiles, je ne vois pas de raison de s'en prendre à elle. Encore une fois, ce qui me pose problème, c’est le fondamentalisme religieux et le fait de vouloir appliquer des règles profondément misogynes et sexistes au nom du retour à la lettre originelle d’écrits hors d’âge.�
  • Illustration : Tristane Banon et son livre «Le péril Dieu», éditions de l’Observatoire, février 2023, 256 pages, 20 € (papier), 14,99 € (numérique). Photo Frédéric Monceau
Peut être une image de 2 personnes et texte qui dit ’LE PÉRIL DIEU TRISTANE BANON Meaa TOUTES LES RELIGIONS SONT SEXISTES bservatoire bse’
 


25/02/2023
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