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Éoliennes, voiture, agriculture... comment l'écologie creuse le fossé entre ruraux et urbains

  • par Dinah Cohen, pour Le Figaro - décembre 2022 republié par JARL
ÉCOLOGIE ET POLITIQUE, L'EMBRASEMENT - À mesure que la transition écologique s'accélère, le risque de fracture entre les villes et les campagnes s'accroît. Les politiques tentent de regagner le cœur d'une France qui se dit souvent oubliée.
 
Au volant de sa voiture, Pierre Chasseray arpente les routes. Cette année, le délégué général de l'association «40 millions d'automobilistes» s'est donné une nouvelle mission. Après avoir combattu les 80 km/h voulus par Édouard Philippe et l'augmentation de la taxe carbone, il lui faut maintenant montrer les «incohérences» des «ZFE», dans l'espoir de stopper leur mise en place. Prévues pour 2025, ces zones à faible émission doivent restreindre l'accès de certains véhicules polluants à une quarantaine d'agglomérations françaises (dont Toulouse). Une véritable «bombe à retardement sociale», pour celui qui se qualifie de «lanceur d'alerte». «Vous allez empêcher les gens de prendre leur voiture, comment voulez-vous que ça se passe bien ?», interroge-t-il. Pierre Chasseray y voit aussi «un autre exemple d'une écologie de cœur des villes, éloignée de la réalité du quotidien»
 
Ce quotidien, c'est celui d'une France qui s'estime de plus en plus ignorée à mesure que la transition écologique s'accélère - celle-ci ayant été érigée au rang de priorité de ce second quinquennat d'Emmanuel Macron. Une France à laquelle on imposerait des éoliennes sans tenir compte des nuisances engendrées, à laquelle on dirait ce qu'il convient ou non de manger, ou comment il faut circuler. Une France qui, pourtant, est souvent la première à constater les effets concrets du dérèglement climatique, par sa proximité avec la nature. «C'est quelque chose qu'on vit dans notre chair, dans notre quotidien», souligne Eric Thirouin, agriculteur et président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB). «On est conscients qu'on fait partie des solutions potentielles pour contenir ces changements, mais on a besoin d'alternatives. Si on ne nous accompagne pas pour en trouver, tout explose.»
 
Ces cris d'alarme qui émanent d'une partie de la population inquiètent aussi la classe politique qui garde en mémoire, parfois comme un traumatisme, le précédent des «gilets jaunes», né d'une hausse de la taxe sur les carburants et déjà révélateur d'une cassure. Quatre ans plus tard, le risque social est toujours là, et la nécessité de regagner le cœur de cette «France oubliée» semble s'imposer. «Il y a un décrochage total du fait que plusieurs générations ne connaissent plus du tout la vie à la campagne. C'est devenu deux univers parallèles», observe la députée du MoDem Géraldine Bannier, élue en Mayenne et fille d'agriculteur.
 
«Le sentiment global, c'est la fracture, le sentiment d'être pénalisé», témoigne à son tour Yannick Favennec, député du même département apparenté au groupe Horizons. «Le problème, c'est l'accompagnement et la temporalité. Pour le moment, on a l'impression que c'est une écologie tournée vers des gens aisés et des villes», estime-t-il.
 
«Deux France qui ne se parlent plus»
 
Pour Pierre Meurin, député Rassemblement national du Gard et auteur d'une proposition de loi visant à supprimer les ZFE, il y a là «un choc sociologique entre deux France qui ne se parlent plus : l'une qui dispose d'une accessibilité à tout, et l'autre pour qui c'est beaucoup plus compliqué.» De la politique énergétique du gouvernement «avec son angle antinucléaire», aux éoliennes «que vous ne verrez jamais à Paris», en passant, toujours, par la mobilité, l'élu a balayé ces derniers mois les sujets pour appeler à ne pas faire une transition écologique «contre les Français». «Les gens ont la sensation qu'elle se fait sans eux», répète-t-il à l'envi, sans manquer de dépeindre ses adversaires comme «des personnes devant des tableaux Excel et des Powerpoint, auxquelles une forme de bon sens semble inaccessible.»
Par ses prises de parole appuyées, l'élu illustre la stratégie du groupe de Marine Le Pen, dont une majorité des 89 députés élus en juin dernier est issue de circonscriptions rurales. Tous affichent une même volonté : se faire le porte-voix des Français que l'on n'entend pas, et qui sont devenus le terreau du succès électoral du RN. «Je pense qu'on est les seuls à avoir une approche globale de cette situation», fait valoir le député.
 
En face, la majorité tente de riposter, non sans difficultés. Car l'étiquette d'élus de la «start-up nation», des urbains qui réussissent, lui colle encore à la peau, et continue d'être incarnée par Emmanuel Macron. «Il est vu comme un premier de classe à qui tout réussit, très loin de ce que connaissent les gens de la campagne», admet un député de son propre camp. «C'est vrai qu'on a un gouvernement urbain, soupire une autre. On parle de gens qui n'ont jamais eu de problèmes, et c'est encore plus de cas depuis que de nouveaux technos parachutés ont été élus à l'Assemblée nationale». Lors du dernier quinquennat, un groupe d'élus «ruralité» s'était constitué. Mais ce dernier n'a pas été renouvelé, tant les personnalités qui le constituaient ont été remplacées par des membres du RN.
 
Les derniers messages de sensibilisation du gouvernement en matière de sobriété énergétique n'ont pas non plus fait l'unanimité, qu'il s'agisse des conseils du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, de porter des cols roulés, ou de la campagne prônant les «petits gestes du quotidien». Autant d'opérations perçues comme infantilisantes, voire méprisantes pour certains. «Les gens ne refusent pas la transition écologique, mais ils ne veulent pas qu'on leur donne des leçons», dénonce Yannick Favennec. «À la campagne, les gens ont du bon sens. Ils réagissent à la cohérence du message. Quand on leur dit qu'il faut avoir des voitures électriques mais qu'il n'y a plus d'électricité, par exemple, ils se posent des questions», ajoute un élu MoDem.
 
Dans ce contexte, de plus en plus de voix s'élèvent pour sonner l'alarme, aussi bien sur le risque social que politique. «On donne beaucoup d'écho au RN sur ces sujets et on ne nous interroge pas assez dessus», regrette Emmanuel Maquet, élu Les Républicains dans la Somme. Pour lui, «le RN présente un danger et une difficulté», mais touche du doigt une réalité : «La ruralité, quand elle n'est pas comprise, elle se révolte. Et quand on est en circonscription, on sent qu'elle n'est pas suffisamment connue ou ressentie dans les grandes décisions nationales. Elle échappe aux grands pontes parisiens.» Le député tente de se faire entendre dans l'Hémicycle, notamment sur l'éolien, dont l'implantation désordonnée suscite à ses yeux «la colère des Français». Il met aussi en garde : «On ne fera pas en deux ans ce qu'on n'a pas été fichus de faire en vingt ans. Si l'écologie n'est pas comprise, elle sera combattue, et le pays est déjà fragile.»
 
Des signaux envoyés aux collectivités
 
De l'autre côté, les écologistes s'attellent à revoir un logiciel qui crispe, pour l'heure, une grande partie de la population. Les 4,63% de Yannick Jadot à la présidentielle les y a contraints : élargir leur base électorale est aujourd'hui une nécessité pour survivre. «Les incarnations de l'écologie politique aujourd'hui, c'est souvent des Parisiens, des personnes plutôt urbaines», reconnaît la députée EELV de la Drôme Marie Pochon, alors que la scène médiatique a beaucoup été accaparée par l'écoféministe Sandrine Rousseau, davantage occupée à dénoncer les barbecues comme un gage de «virilité».
 
Pour l'élue, qui figure parmi les rares écologistes désignés dans une circonscription rurale, l'élection passée a montré que «des territoires ont été délaissés». «On s'est peut-être repliés sur une sociologie électorale plutôt des villes», analyse-t-elle. Avec la nouvelle secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, Marie Pochon souhaite entamer des «États généraux de la ruralité», censés permettre de renouer les liens et montrer que «les écologistes sont partout sur le territoire, même s'ils ne se reconnaissent pas forcément dans l'incarnation des Verts». «La France périphérique, on arrive», a même lancé l'élue d’Hénin-Beaumont lors de son discours d'intronisation. Pas sûr que cela suffise pour autant, surtout quand Marine Tondelier salue, dans le même discours, les actions de désobéissance civile qui s'intensifient depuis plusieurs mois. Les mêmes qui mènent parfois de jeunes activistes à s'asseoir sur des autoroutes et bloquer la circulation de Français se rendant sur leur lieu de travail.
 
C'est donc aussi pour se poser en contre-modèle d'une écologie de plus en plus radicale qu'Emmanuel Macron multiplie, depuis sa réélection, les signaux à l'égard des collectivités. Pour son ministre de la Transition écologique, le président a par exemple désigné, après la défaite d'Amélie de Montchalin aux élections législatives, l'ancien maire d'Angers (Maine-et-Loire), Christophe Béchu, et ajouté à son portefeuille la «cohésion des territoires». «Cette architecture montre que l'on considère que les collectivités sont les meilleurs acteurs, et qu'on ne veut pas laisser quiconque au bord du chemin», argumente son entourage, en assurant vouloir «y aller par étapes, en étant peut-être un peu moins radical dans l'objectif et la méthode».
 
En témoigne aussi le «fonds vert» annoncé cet été, censé aider financièrement les collectivités à s'adapter au dérèglement climatique. Un «temps de formation» a également été officialisé par le ministre en novembre dernier pour permettre aux élus locaux d'être sensibilisés aux changements à venir. Des initiatives saluées par les principaux intéressés, qui émettent malgré tout des réserves. «Il y a un peu plus d'écoute, mais on est vraiment au début, on attend encore de passer l'étape des mots doux», formule Guy Geoffroy, vice-président de l'Association des Maires de France. «L'État a besoin de nous, les acteurs de terrain, pour mettre en condition de pratiques réelles ses mesures. Il n'y a pas d'autre chemin», prévient-il.
 
Ce message est aussi martelé dans l'Hémicycle, où les débats doivent reprendre à la rentrée sur le texte consacré à l'accélération des énergies renouvelables. Depuis le début des discussions, les députés LR n'ont de cesse de plaider pour une écologie émanant d'abord des territoires. Considérant ne pas avoir été suffisamment écoutés par le gouvernement, ils ont déjà annoncé leur volonté de voter contre le projet de loi. La question des ZFE devrait également revenir sur la table, puisque l'association «40 millions d'automobilistes» a prévu de déposer, dans les semaines à venir, deux recours en justice. Le Rassemblement national a également inscrit à l'ordre de sa niche parlementaire, prévue le 12 janvier, son texte de suppression de ces zones.�
Illustration :
  • Le risque de fracture territoriale dans la transition écologique inquiète la classe politique. Charlotte Paroielle / LE FIGARO
  • Vidéo. - Écologie: peut-on se passer du progrès technologique ? - Durée 51:40 - Le Club Le Figaro Idées diffusé ce jeudi 22 décembre, était consacré à l’écologie, au progressisme et à la science. Eugénie Bastié a reçu le romancier, essayiste et philosophe Olivier Rey, 
 
  


04/01/2023
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