2184- Démagogie? Populisme? Réalisme ou erreur de siècle ? 12 posts
Ian Brossat : « Il faut mettre les riches à la diète »
ENTRETIEN. La colère monte contre les inégalités, assure le porte-parole du Parti communiste, qui met en garde contre les efforts demandés aux plus pauvres.
Propos recueillis par Thibaut Déléaz
Toute la gauche réunie, pour la première fois, à la Fête de l'Humanité. Le symbole est fort pour la Nupes, d'autant que les communistes ont plusieurs fois donné l'impression de prendre leurs distances avec leurs partenaires. Le porte-parole du PCF et adjoint à la maire de Paris en charge du Logement, Ian Brossat, préfère dire que son parti marque sa singularité. Inflation, crise énergétique, pénuries… Les défis politiques de la rentrée sont immenses, surtout pour la gauche qui va devoir s'imposer dans une Assemblée sans majorité absolue, quitte à devoir mettre la pression dans la rue. Le tout sans oublier de regarder vers les prochaines échéances électorales. Surtout, ne pas se reposer sur ses acquis, identifier les faiblesses de 2022 et les traiter, sans se diviser. Pas simple tant les désaccords persistent, à gauche. Pour Ian Brossat, les communistes détiennent une partie de la solution. Entretien.
Le Point : Le monde pleure la mort de la reine Elizabeth II. Que représentait-elle pour vous ?
Ian Brossat : Je suis un républicain, je regarde donc tout cela avec un peu de distance. Cela dit, force est de constater qu'Elizabeth II, par sa personnalité, a marqué son époque. J'ai eu l'occasion de la croiser une fois, à l'Hôtel de Ville, en juin 2014. J'étais maire adjoint depuis à peine trois mois et je me souviens de son arrivée. J'avais l'impression d'entrer dans mon écran de télévision tellement elle était pour moi un personnage un peu irréel. Anne Hidalgo lui a présenté ses adjoints et a précisé que j'étais son adjoint communiste au logement. Elle a esquissé ce sourire énigmatique qu'on lui connaissait bien. Elle ne s'attendait sans doute pas à ce qu'il y ait un communiste maire adjoint dans la capitale de la 6e puissance économique du monde. Et pourtant, si. Et ça dure !
La Fête de l'Humanité a commencé vendredi. C'est la première fois que Jean-Luc Mélenchon revient après plusieurs années d'absence. Êtes-vous enfin réconciliés ?
Tous les responsables de la gauche ont toujours été les bienvenus à la Fête de l'Humanité. Cette année, Jean-Luc Mélenchon a décidé d'y répondre favorablement et nous en sommes très heureux. Les responsables de gauche seront tous réunis, puisque Olivier Faure et Julien Bayou seront là, autour de Fabien Roussel. La Fête de l'Huma sera pour nous à la fois le moment de nous retrouver, mais aussi de faire le bilan de cette séquence présidentielle et législative et de réfléchir ensemble aux moyens d'approcher la victoire la prochaine fois.
Notre ambition n’est pas de mettre des bâtons dans les roues de la Nupes.
Les communistes ont-ils trouvé leur place dans la Nupes ? On a eu le sentiment d'une prise de distance depuis les législatives…
Nous avons une place singulière au sein de la Nupes. Il faut regarder avec lucidité le résultat de la séquence. Il y a des éléments positifs. La gauche a progressé à l'élection présidentielle de quatre points par rapport au premier tour de 2017. Aux élections législatives, nous avons réussi à progresser en sièges, et ce, grâce au rassemblement. Si nous n'avions pas fait ce choix-là, nous aurions été vraisemblablement rayés de la carte. Néanmoins, nous n'avons pas gagné. On doit donc réfléchir à ce qui nous manque.
Ce n'est donc pas une prise de distance mais une volonté de régler les faiblesses de la Nupes ?
Elles ont été identifiées par plusieurs personnalités à gauche, je pense à Fabien Roussel, à François Ruffin et à d'autres. C'est la France des villes moyennes et des villages. La plupart des députés communistes sont issus de cette France périphérique. Ils ont donc une approche qui peut être parfois un peu différente, mais leur apport est essentiel parce que sans cette France-là, nous ne gagnerons jamais. Je suis très, très heureux des scores que nous faisons dans les quartiers populaires, mais ça ne suffit pas à gagner. Notre ambition, ce n'est pas de mettre des bâtons dans les roues de la Nupes, mais d'accéder à la victoire la prochaine fois.
L'expérience de la Nupes doit-elle être renouvelée ? Vos partenaires s'écharpent déjà sur les élections européennes de 2024…
Nous ne sommes jamais hostiles au rassemblement par principe. Tout dépend du contenu sur lequel on est capable de se rassembler. Pour les européennes, si on veut que ce rassemblement soit solide, il faut qu'on soit d'accord sur les grands enjeux européens. Est-ce que, par le passé, on l'a été ? Ce n'est pas le sujet sur lequel il a été plus facile à gauche de se mettre d'accord. C'est même l'une des grandes causes de la fracture de la gauche au cours des vingt ou trente dernières années.
Le Parti communiste est le seul parti politique de gauche à s'être opposé à l'ensemble des traités européens libéraux. Les logiques de libéralisation qui ont été imposées par l'Union européenne nous ont conduits dans le mur. Et on en paye le prix aujourd'hui. Donc, si on veut constituer une liste de rassemblement aux élections européennes, il faut être très clair sur la question des traités européens et sur la nécessité de s'affranchir des logiques libérales qui ont prévalu à l'échelle de l'Union. Si on est capable de se mettre d'accord sur le contenu, banco ! Mais si c'est simplement une alliance de bric et de broc qui n'a pas de cohérence de fond, les Français nous sanctionneront.
Le gouvernement français est le dernier d’Europe dirigé par des illuminés ultralibéraux.
Vous débattez avec Sandrine Rousseau à la Fête de l'Huma. Vous êtes dans la même alliance, mais on a l'impression que tout vous sépare sur le plan des idées…
Nous avons un certain nombre de points d'accord : elle a défendu, comme nous, l'augmentation des salaires, des pensions de retraite, le blocage des prix… Il y a sans doute une approche différente des enjeux écologiques. Nous sommes attentifs à ce que l'écologie ne soit pas une occasion de demander des sacrifices supplémentaires aux classes populaires qui n'ont pas cessé d'en faire au cours des dernières années. Une partie de la France périphérique nous regarde de travers parce qu'elle a le sentiment qu'une partie de la gauche souhaite s'en prendre à son mode de vie ou ne le comprend pas. Évidemment qu'on va devoir s'adapter au réchauffement climatique, mais ce changement doit être accompagné par les pouvoirs publics. Ça ne peut pas être simplement un effort individuel.
Quand vous entendez Emmanuel Macron et le gouvernement insister sur l'importance des petits gestes pour le climat, vous estimez donc qu'ils prennent le problème à l'envers ?
Si on en est réduit aux petits gestes, c'est à cause des grands renoncements de l'État à organiser la planification écologique. Le bâtiment, c'est 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Je suis adjoint au logement à la mairie de Paris. Depuis dix ans, on a lancé la rénovation énergétique de 600 ensembles HLM, soit 60 000 logements. La ville y a mis 600 millions d'euros, l'État… 18 millions. Nous avons donc investi 30 fois plus que l'État ! Imaginez si l'État avait mis autant d'argent, on ne serait pas dans la situation actuelle avec 12 millions de Français qui vivent dans des passoires thermiques. On n'est pas du tout au niveau. Idem pour les logements privés. Le gouvernement a fait beaucoup de mousse sur MaPrimeRénov' pour traiter à peine 2 000 passoires thermiques en 2021. Il faut changer de braquet et mettre des milliards d'euros sur la table chaque année.
Attaque de golfs ou de piscines privées face à la sécheresse cet été et dénonciation des jets privés : la grogne monte chez les Français…
Il y a un puissant sentiment de « deux poids, deux mesures ». Toutes les études montrent que ce sont les ménages les plus fortunés qui polluent le plus, mais c'est en permanence aux plus modestes que l'on demande de faire le plus d'efforts. Inévitablement, ce hiatus provoque la colère. Il faut réduire les inégalités sociales et mettre les plus riches à la diète. C'est la raison pour laquelle nous soutenons la taxation sur les vols en jets privés. Ça ne résoudra pas seul le problème, mais le symbole est fort : c'est aux plus fortunés de faire des efforts. Pour les plus modestes, il faut leur permettre de consommer moins sans que cela ne dégrade leurs conditions de vie.
Le gouvernement tarde-t-il à se saisir du sujet ?
Il obéit au doigt et à l'œil à l'oligarchie qui l'a mis au pouvoir. C'est ridicule, parce que le gouvernement français finit par être le dernier d'Europe dirigé par des illuminés ultralibéraux. Prenons la question de la taxe sur les superprofits. Les superprofits existent – les entreprises du CAC 40 ont distribué ce trimestre 44 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires. Mais Bruno Le Maire explique qu'il ne sait pas ce que sont les superprofits, et Gabriel Attal ne sait pas à quoi servirait cette taxe. Dans le même temps, toutes les voix à l'échelle internationale ou européenne s'expriment en faveur d'une telle taxe. Les économistes de l'OCDE, qui ne sont pas pourtant des antilibéraux échevelés, la défendent. L'ONU, l'Espagne, la Grèce – pourtant dirigée par la droite –, l'Allemagne, le Royaume-Uni… Nous sommes dirigés par les derniers des Mohicans arc-boutés sur des logiques ultralibérales. À un moment donné, il faut remettre un peu de bon sens dans tout ça et renoncer à ces dogmes qui nous conduisent dans le mur.
Les responsables de la situation que nous vivons sur le front de l’énergie sont au moins autant situés à l’Élysée qu’au Kremlin.
Emmanuel Macron a tout de même annoncé une « contribution » à l'échelle européenne des entreprises énergétiques réalisant de gros profits. Ça ressemble à la taxe que vous défendez…
Quand vous voulez enterrer une idée, vous la confiez à l'Union européenne, surtout en matière fiscale, où la règle de l'unanimité s'applique. C'est un moyen d'enterrer cette bonne idée et d'être sûr qu'elle n'advienne jamais.
Inflation, pénuries, crise énergétique… Les Français paient-ils trop fort le prix des sanctions à la Russie ?
Des sanctions qui, au final, reviennent à nous tirer une balle dans le pied. Elles méritent à l'évidence d'être interrogées. Cela dit, les responsables de la situation que nous vivons sur le front de l'énergie sont au moins autant situés à l'Élysée qu'au Kremlin. À mon sens, nous payons en matière d'énergie le prix d'un double dogme. Le premier, c'est la logique de libéralisation qui a prévalu en matière d'énergie. On avait une entreprise publique avec un monopole, ça fonctionnait très bien, notre souveraineté énergétique était assurée. Est venue la mise en concurrence, on a forcé EDF à vendre à perte, et au final, la facture d'énergie des Français a augmenté de 60 %, alors qu'on leur a expliqué que tout ça allait permettre une baisse des prix. Nous payons aussi le dogme antinucléaire, par les choix qui ont été faits par la France, sous Hollande, puis en partie sous Macron. Il s'est ravisé, mais tardivement.
Le gouvernement met pourtant la pression sur EDF pour que plus de réacteurs nucléaires soient opérationnels cet hiver…
C'est un numéro d'hypocrisie absolument hallucinant. La responsabilité est politique, et renvoyer la responsabilité à EDF, c'est une manière pour Macron de se défausser à peu de frais, comme il en a l'habitude. La stratégie qui a été menée au cours des dernières années a consisté à se retirer de la filière nucléaire, on l'a fragilisée. Le Parti communiste a toujours été très cohérent sur ce sujet. On ne relèvera pas le défi climatique sans s'appuyer sur la filière nucléaire. Parce que si on veut se débarrasser des énergies fossiles, il faut bien s'appuyer à la fois bien sûr sur les énergies renouvelables, mais aussi sur l'énergie nucléaire, qui présente quand même le double avantage d'être décarbonée et pilotable.
Le gouvernement n’écoute que de l’oreille droite et refuse d’écouter de l’oreille gauche.
La loi pour le pouvoir d'achat votée au début de l'été a-t-elle permis d'atténuer les effets de l'inflation sur les Français ?
Elle porte à mon sens une lacune monstrueuse : le salaire. On vit quand même dans un drôle de monde où l'on veut parler de pouvoir d'achat sans parler de salaires. Or, la clé, c'est la rémunération du travail. Le gouvernement a refusé toute augmentation des salaires, et notamment d'accéder à l'exigence que nous portions avec nos camarades de la Nupes, d'un vrai coup de pouce au smic, à 1 500 euros net. Demander des efforts au patronat, le gouvernement ne veut pas en entendre parler. Donc il est condamné à inventer des rustines pour quelques mois, qu'il prolonge avec plus ou moins de bonne volonté. Mais les Français n'ont pas envie d'aller récupérer une prime à la CAF, ils veulent pouvoir vivre de leur travail.
Deux journées de mobilisation sont prévues les 22 et 29 septembre. La rentrée est-elle placée sous le signe de la confrontation ?
Il faut marcher sur nos deux jambes, la rue et les urnes. Le gouvernement a refusé d'entendre le message des urnes et la grande colère des Français qui s'est exprimée à la présidentielle et aux législatives, en décidant de priver Macron d'une majorité absolue. Le gouvernement n'écoute que de l'oreille droite et refuse d'écouter de l'oreille gauche. Ce qu'ils refusent d'entendre dans les urnes, il faut qu'ils l'entendent dans la rue. Dans un sens, les macronistes sont pris à leur propre piège : ils ont répété que l'augmentation des salaires, ça ne dépend pas du gouvernement. C'est en partie faux pour le smic ou les fonctionnaires, mais c'est vrai que l'augmentation générale des salaires, ça dépend du patronat. Comment est-ce qu'on obtient une augmentation des salaires dans les entreprises ? Par les grèves et les manifestations. Donc le gouvernement a beau jeu de critiquer le désordre : en se mobilisant, les salariés le prennent au mot.
Pourquoi avoir refusé de vous rendre au Conseil national de la refondation (CNR) proposé par Emmanuel Macron ?
Il est désormais évident pour tout le monde que c'est une manière de contourner l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce n'est pas rien de contourner des instances démocratiques élues par les Français en mettant en place une instance élue par personne. Le président sait très bien qu'il est minoritaire à l'Assemblée nationale comme au Sénat. C'est une manière de mettre en place une instance à sa main qui validera ses projets néfastes. Nous n'avons aucune raison de prêter main-forte à cette opération politicienne. Par ailleurs, la référence au Conseil national de la Résistance est une provocation monstrueuse. Il a été un moment de progrès social extraordinaire pour la France, avec la mise en place de la Sécurité sociale et du statut des fonctionnaires, tout ce à quoi Emmanuel Macron souhaite s'attaquer méthodiquement.
Lui rétorque que « les absents ont toujours tort ». N'avez-vous pas peur de passer à côté d'une occasion de peser dans le débat ?
Le Parti communiste est un parti qui pratique peu la politique de la chaise vide. Et quand on peut faire avancer des revendications concrètes, on le fait, on siège dans tous les lieux de débat sérieux. Là, la ficelle est tellement grosse que ce serait donner du crédit à une entreprise malhonnête du président de la République. Donc il n'y a vraiment aucune raison pour que l'on y siège.