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 Atteintes à la laïcité : des chefs d’établissement sous tension

  • par Alice Pairo-Vasseur, pour Le Point - novembre 2022
Alors que le nombre d’incidents monte en flèche, proviseurs et principaux racontent au Point ce que signifie être «en première ligne».
 
Elle pèse chaque mot, inquiète qu'une «maladresse» puisse «mettre le feu aux poudres…» Dominique Faure est proviseure dans la banlieue de Nantes et membre d'un syndicat du personnel de direction (SNPDEN). En prise avec des atteintes à la laïcité dans l'enceinte de son lycée depuis septembre dernier, la cheffe de cet établissement (qu'elle jugeait jusqu'alors «protégé, épargné par les conflits») se confie sur ses nouvelles difficultés.
 
Ces élèves qui jusqu'à la rentrée dernière ôtaient leur voile devant les grilles du lycée – pour le remettre une fois la journée de cours achevée : Elles sont désormais plus nombreuses et grignotent, dès que nous manquons de vigilance, des mètres sur l'entrée de l'établissement.» Puis leur camarade, une jeune fille parvenant il y a quelques semaines à franchir le portail vêtue d'une abaya – vêtement féminin religieux.
 
Convoquée à la mi-journée («il n'était pas question de faire une action visible, qui pouvait s'avérer contre-productive»), cette dernière s'en ouvre alors aux autres élèves et déforme les propos tenus par la direction. Un blocus paralyse, dans la demi-heure, l'entrée du lycée. «Je me suis retrouvée face à 150 élèves, dont certains très remontés, m'accusant de stigmatisation, se rappelle la proviseure. Pour la première fois, j'ai pris la mesure de ce qui se passait.»
 
TikTok et la loi
La situation de Dominique Faure est loin d'être un cas isolé. Le ministère de l'Éducation nationale recensait dans le primaire et le secondaire 720 signalements d'atteintes à la laïcité pour le seul mois d'octobre dernier. Dont 40 % par le biais de signes ou tenues signifiant une appartenance religieuse, «principalement» dans des «espaces et temps d'activités hors de la classe».
Un chiffre en hausse (la Rue de Grenelle en comptabilisait 313 en septembre), mais qui n'en demeure pas moins «très, très en deçà de la réalité», indique Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général et auteur d'un rapport sur la laïcité précédant la loi de 2004 relative aux signes ostensibles à l'école. «L'immense majorité des incidents sont réglés en salle de classe ou dans les établissements sans être signalés, quand ils ne sont pas tus.»
 
Derrière une large part de ces actions, une «campagne politico-religieuse usant des codes» de ces mêmes ados pour «les inviter à désobéir à la loi et à transgresser les règles de la vie scolaire, au nom de la religion», pointe Jean-Pierre Obin. Notamment sur TikTok, réseau social aux contenus ultraviraux, où «des influenceuses de confession musulmane y défient les jeunes filles de “forcer les portes” de l'école de la République», décrit encore Dominique Faure.
«Ebranlée» par l'épisode ayant touché son lycée, Dominique Faure emploie ses vacances à façonner son «contre-discours». Elle s'inscrit sur le réseau social (« J'y ai retrouvé les éléments de langage de certaines lycéennes, notamment celui de ceinturer son abaya pour laisser penser à une “tunique” ou à un “kimono”), «révise» les textes (loi du 15 mars 2004, circulaire du 18 mai 2004) et se «refamiliarise» avec le «principe de laïcité» et les «valeurs de la République».
 
«Armé d'arguments»
«J'ai pris conscience que je pouvais être mise en difficulté face aux élèves, dont certains étaient extrêmement vindicatifs… Et compris qu'il fallait être armée d'arguments», confie la proviseure. Un sentiment partagé par nombre de ses pairs. Comme en témoigne l'appel de plusieurs syndicats du personnel de direction ayant demandé, en début d'année scolaire, des «consignes claires» au ministère pour faire appliquer la laïcité dans leur établissement.
 
Une requête à laquelle répondait la Rue de Grenelle, le 9 novembre dernier, en annonçant la mise en place, par une circulaire, d'une formation spécifique aux chefs d'établissement (en complément de celle destinée à l'ensemble du personnel de l'Éducation nationale, dont 130.000 personnes ont déjà bénéficié). En communiquant, aussi, une échelle claire de sanctions dans le cas où le dialogue avec l'élève et ses parents ne suffirait pas à «débloquer la situation».
 
«Ici, l'histoire s'est bien terminée», souffle Dominique Faure, qui, après un «soutien immédiat du rectorat» par le biais d'un référent laïcité, recevra le père de l'élève en lui assurant que sa fille ne «viendrait plus au lycée avec ce type de tenue». «Le dialogue avec l'élève ou avec ses parents permet, dans la grande majorité des cas, d'arranger les choses. Et, même parfois, ces derniers sont en désaccord avec leur enfant, comme dépassés par leur initiative», commente, à ce titre, une inspectrice de la région parisienne.
 
Mais ce dialogue comporte ses limites. Ainsi cette principale d'un collège de la Drôme raconte-t-elle l'ouverture du cycle de natation et ces scènes maintes fois rejouées. «Certaines jeunes filles avancent avoir “trop froid” et demandent à leur professeur d'EPS de venir en combinaison, jusqu'à brandir, en dernier recours, des avis médicaux d'”allergie au chlore”», commis avec la complicité des parents. Dès lors, soupire-t-elle, «le débat est clos». Des certificats de complaisance auxquels la Rue de Grenelle compte, précisément, mettre un terme, imposant désormais validation par le médecin scolaire et alerte à l'ordre des médecins.
 
En «première ligne»
Autant de chaînes de relais devenues indispensables aux chefs d'établissement. «Je suis allée jusqu'au dépôt de plainte», témoigne ainsi Anne*, une proviseure officiant depuis vingt ans dans la grande couronne et constatant une «augmentation nette» des atteintes à la laïcité dans son lycée. «Être chef d'établissement, c'est être en première ligne. Or, quand on convoque les parents, on ne sait jamais qui on va trouver en face de soi ni quelles proportions cela peut prendre. Il ne s'agit pas de se mettre en danger, ni quiconque de la communauté éducative», commente-t-elle, volontairement évasive, soucieuse que son établissement soit «reconnu».
 
«On a aussi un rôle de protection des professeurs», justifie-t-elle. Déplorant, par là même, que certains d'entre eux puissent «ne pas tout [lui] dire» – soit taire des incidents jugés mineurs ou même éviter qu'ils adviennent. «Un enseignant sur quatre admettait s'autocensurer (“de temps en temps ou régulièrement”) au lendemain de l'assassinat de leur collègue Samuel Paty», rappelle à ce titre Jean-Pierre Obin. D'où l'intérêt de sensibiliser, via les formations à la laïcité, aux enjeux que recouvrent ces atteintes et d'« encourager aux signalements».
 
«Il en va de nos valeurs que de protéger l'école, l'école républicaine et laïque», s'émeut ainsi Anne. Qui insiste : «Il revient à chacun d'agir en ce sens. Moi, je ne baisserai pas les bras…»�
* Le prénom a été modifié
  • Illustration : «J’ai pris conscience que je pouvais être mise en difficulté face aux élèves, dont certains étaient extrêmement vindicatifs… Et compris qu’il fallait être armée d’arguments», confie une proviseure. © XOSE BOUZAS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Peut être une image de mur de briques
 
 


30/11/2022
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