Après la crise de 2008-2009, nos sociétés ont vécu un regain de ce que l'on peut définir comme le populisme. Des sujets comme le «populisme de gauche» ou la «France périphérique» (ou le «racisme d'État» et tant d'autres), ont une vocation fréquente de révélateurs de postures plus que d'analyses divergentes.
Ces dernières années ont beaucoup vu traiter du «populisme de gauche», dont les inspirateurs sont Ernesto Laclau (disparu en 2014), Chantal Mouffe et Inigo Errejon. Laclau et Mouffe avaient publié, au début des années 1980 –et alors que le «néolibéralisme», c'est-à-dire les expériences menées à partir du Royaume-Uni de Margaret Thatcher et des États-Unis de Ronald Reagan, fleurissait– Hégémonie et stratégie socialiste, ouvrage important en matière de tentatives théoriques de réponse au néolibéralisme, par ailleurs bien analysé par Stuart Hall dans ses écrits.
Tous s'inspirent de Gramsci et le maitrisent très bien. Par leurs histoires et leurs centres d'intérêt, leurs objets d'études, ils sont tous désignés pour renouveler la pensée critique relative aux questions de domination culturelle. Restait à rencontrer un moment propice à leur application.
Oui, il y a eu un moment populiste
Il y a eu un moment populiste. En Autriche, le résultat extrêmement important de l'extrême droite à la municipale de Vienne en octobre 2010 a pointé le retour du populisme de droite sur le devant de la scène européenne. En mars 2011, les élections cantonales françaises ont montré la percée d'un FN «marinisé», après l'accession de Marine Le Pen à la présidence du parti fondé par son père.
Les résultats sont alors incontestables et les enquêtes (de l'IFOP notamment) apprennent beaucoup mais ne permettent pas de prendre la mesure des mouvements en cours, à plus large échelle comme à l'échelon micro-local. Héritière d'un parti «national populiste», selon les mots de Jean-Pierre Stirbois, Marine Le Pen laisse en grande partie sondeurs et journalistes composer pour elle le storytelling de son ascension. Mouffe connaît extrêmement bien l'Autriche comme Laclau connaît bien l'Espagne et le monde latino-américain…
C'est en opérant un détour par la gauche qu'on comprend que ce moment populiste touche à sa fin.
Le déroulement des années qui ont suivi les années de crise économique met en lumière un essor de mouvements de gauche radicale dans plusieurs pays. Dans la Péninsule ibérique en 2014 apparaît Podemos. Le phénomène populiste est alors perçu comme potentiellement «de gauche». La paresse intellectuelle pousse à répéter que les extrêmes se rejoignent; or, jamais, sauf à leurs extrêmes marges et selon des trajectoires individuelles, voire aberrantes au sens propre du terme, on ne trouve jonction entre les mouvements électoraux respectifs ou les organisations qui les composent.
Les mouvements de gauche radicale puisent le cœur de leur dynamique dans des groupes sociaux plutôt jeunes, diplômés et frappés par la crise. Autour d'eux, diverses coalitions sociales s'organisent selon les pays. Souvent ont-ils pris une part de leur potentiel dans les «mouvements des places».
- Pour l'essentiel pourtant, dans les sociétés dites «occidentales», le double mouvement est autant vers la droite que populiste. Et, ce malgré l'instant «populisme de gauche» que nous avons connu.
- Pourtant, c'est en opérant un détour par la gauche qu'on comprend que ce moment populiste touche à sa fin.
Les indices de la fin du moment populiste
En Italie, la perte de dynamique des mouvements populiste de droite (Lega) ou antipolitiques assimilables au «populisme» (M5S) a réactivé un clivage entre «centre droit» et «centre gauche». Et Letta et Meloni représentent peut être deux Italie, mais probablement pas uniquement «celle du haut» et «celle du bas» comme on aurait pu le prétendre il y a quatre ou cinq ans. En Espagne, Podemos devient une gauche radicale «normale» tandis que Vox apparait comme une extrême droite traditionnelle et non comme une force populiste.
Mélenchon 2017 penche par bien des aspects vers une version française de Pablo Iglesias.
Dans certaines enquêtes les plus sérieuses, comme celles de la Fondapol, on peut suivre l'évolution du «risque populiste», mais on conviendra, selon la grille de lecture employée ici (il en existe d'autres, comme celle de Dominique Reynié), qu'une stratégie discursive visant à unifier des demandes diverses est des plus difficiles.
Pour être simple, le caractère magmatique, idéologique et électoral tend à laisser la place à trois pôles de plus en plus affirmés mais permettant de facto moins la «construction d'un peuple» que l'entretien de bonnes relations avec les segments d'électorat qui ont permis ou permettront élections et éventuellement réélections.
En France: Mélenchon ou le choix de Grillo contre Laclau
Le populisme n'est pas la radicalité: ce sont deux dimensions différentes de la politique et de la construction des clivages qui sont siennes. Le populisme de gauche a été dénoncé au sein de la gauche radicale, pas uniquement pour des raisons théoriques souvent fondées (portées par la revue Contretemps), mais aussi par simple crainte de voir le mot «populiste» les salir aux yeux d'un groupe social ou d'un milieu dans lequel ils évoluent, c'est-à-dire un cœur politique, social et génération pour lequel populisme est synonyme de lepénisme.
Mélenchon 2017 penche par bien des aspects vers une version française de Pablo Iglesias. Pas seulement parce qu'il invite Chantal Mouffe et débat avec elle, pas seulement par le talent de son équipe de communication, mais parce qu'il innove politiquement et stratégiquement. Ses discours empruntent à 1848, à 1870, à Jaurès et De Gaulle. Il se positionne comme un catalyseur d'aspirations diverses. Après 2017, il piétine. Les lignes se figent dans le pays…
Le «populisme de gauche» visait l'extension du domaine de la gauche. L'excitation de toutes les radicalités accompagne son reflux.