2167- La Libération de Cahors 17 août 1944 (Cécile Vaissié,billet partagé ) 4 posts

17 août 1944: Libération de Cahors. Un bout de brouillon, juste pour le plaisir!
 
Le 17 août 1944, à partir de six heures du matin et après avoir fait sauter les lignes télégraphiques et téléphoniques, les Allemands – « Mongols » et Zenke compris – quittent Cahors pour rejoindre Montauban, et un Cadurcien se souviendra les avoir vu descendre le boulevard Gambetta, fusil pointé vers le bas. La Gestapo est – semble-t-il - dans le premier convoi, dont font également partie certains « collabos » notoires, n’ayant pas encore fui la ville, dont Pierre Colin, le chef de la LVF, et Denise S., vingt ans, la veuve du chauffeur de Warin, le chef de la Milice du Lot, assassiné en juin. Cette dernière a pris sa voiture personnelle pour suivre la colonne allemande et elle racontera que Colin qui voulait se cacher chez elle, à Tarascon-sur-Ariège, « avait une peur énorme » et lui avait demandé de s’installer à côté du chauffeur, afin que lui-même puisse, « en cas de besoin », « se cacher sous les banquettes ».
Lucie C-G, la fille de ce commerçant qui détruisait les images de cinéma « indécentes », serait devenue la maîtresse de Pierre Colin, du 1er au 20 juillet, chez les Warin, et elle assurera que son amant lui avait proposé de le suivre : « Je lui répondis que je n’avais rien à craindre et j’ai refusé de l’accompagner. » Mais, d’après une commerçante de Cahors, c’est Colin qui aurait refusé de s’encombrer de la jeune fille, tout en promettant de revenir la chercher.
Pierre Colin a des raisons d’avoir peur. Sait-il qu’au cours de cette première quinzaine d’août 1944, un plan se montait pour l’enlever et le livrer au maquis ? Ce plan impliquait deux résistants, Jean Laigneau et M. Fougère, l’ancienne maîtresse de celui-ci, Léa Fronteau, devenue celle de Michel B., directeur de cabinet du préfet du Lot, voire, à la fin, Michel B. lui-même qui souhaitait sans doute acquérir à la hâte quelques galons de résistance… Léa Fronteau devait recevoir 10 000 francs à condition d’attirer Colin dans la villa qu’elle habitait : celle, réquisitionnée, de Chapou, le créateur des maquis du Lot. Le projet a finalement été abandonné quand Colin est parti une première fois à Toulouse, et parce que Laigneau et Fougère se méfiaient autant de Borra que lui d’eux.
A 14 heures, ce 17 août, les derniers Allemands quittent Cahors, alors que les premiers – la tête de la colonne – arrivent à Caussade après plusieurs accrochages sur le trajet : le maquis a tiré sur des véhicules et un chauffeur français a été tué. A quinze heures, les collaboratrices de la Kommandantur repartent vers Montauban ; leur autobus est touché par plusieurs coups de feu tirés par des maquisards, mais poursuit sa route, suivi par une partie de la colonne allemande.
A quinze heures, les premiers FFI pénètrent dans Cahors. Les autres suivent... La ville est libérée, sans qu’un coup de feu ait été tiré.
La plupart des miliciens ont déjà quitté Cahors ou s’apprêtent à le faire : ils fuient une ville, un département, une région où ils sont trop connus et/ou se joignent aux Allemands pour, éventuellement, poursuivre le combat. C’est pourquoi ils seront, paradoxalement, peu touchés par l’épuration de septembre-décembre 1944. Ce 17 août, un milicien qui signe R. Valérie et se trouve vraisemblablement à Toulouse écrit ainsi une lettre assez codée à un autre milicien René Deperdussin, villa Alix à Cahors et lui décrit le départ des Allemands et de leurs collaborateurs :
« Toutes les familles sont parties ce jour pour… quelques 700 km de Toulouse. Et moi et les copains, nous sommes encore ici en attendant d’aller les rejoindre. (…) Tu aurais vu ce convoi ce matin, il y avait plus de quinze cents femmes enfants, un train complet dans de luxueux wagons escortés par les F(rancs-)G(ardes) et des Bahnhofs en arme. Je crois que ce voyage s’effectuera comme il faut et que leur arrivée peut-être longue dans la ville de la soie se fera sans grand mal. Sauf les bombardements… (…) Je te conseillerai de rentrer de suite, car je ne sais si tu nous retrouverais ici. Les absents auront une drôle de situation. (…) Je ne vois plus grand-chose à te dire, si ce n’est de te renouveler de rentrer très vite. (…) A bientôt le plaisir de te retrouver et j’espère que tu seras des nôtres pour le départ. Cela est essentiel pour toi. (…) ».
La « ville de la soie », c’est Lyon, bien sûr…
Ce 17 août, à la tombée de la nuit, le « colonel Georges » et le commandant « Raymond » (Picard), font leur entrée dans Cahors, accompagnés de « Dominique » (Maurice Défenin), chef de la sécurité, « Alain » (René Andrieu), « Marcel » (Faurant), « Papy » (René Darses), « Paul » (Robert Dumas), « Gilbert » (Bru) et d'autres membres de l'état major départemental FFI. Le Comité départemental du Front National s’installe à l’Hôtel de l’Europe, et les troupes du maquis à la caserne Bessières, tandis que Robert Dumas rejoint la Préfecture où il prend la place et la fonction de Frédéric Empaytaz.
Ce Robert Dumas, c’est l’ancien patron du casino du Palm Beach de Cannes, qui, en 1940, a célébré les noces de Picabia et d’Olga, et qui, depuis, est devenu Monsieur Paul, « préfet des bois ». Il a été « élu » préfet dans le maquis et est reconnu comme tel par le gouvernement provisoire d’Alger.
René Gratias (« Camille ») devient le commandant d’armes de Cahors ; René Andrieu (« Alain »), le commandant de la subdivision militaire et Maurice Defénin (Dominique), le commissaire aux renseignements généraux, tandis que Raymond Picard est chargé de remettre en ordre des services publics. Au nom de l’Etat-major FFI, Défenin nomme Verdier, qui n’a pas vingt-et-un ans, commissaire de police de police de Cahors.
Les premières décisions sont prises, et elles concernent la sécurité et le ravitaillement des habitants, le fonctionnement des différents services, ainsi que la réquisition de plusieurs bâtiments pour les besoins des organismes civils et militaires.
En mai 1945, Liberté, le journal du FN, rappellera que « le Lot fut le premier département totalement libéré de l’occupation nazie », et ceci, d’après le journal, « grâce à une organisation méthodique, non seulement des forces armées de la Résistance, mais aussi des organismes civils qui, eux aussi, avaient été constitués dans la clandestinité ». Liberté expliquera ainsi que, « lors de la prise de Cahors par les militaires, les leviers de commande furent pris en charge par ces organismes civils » : le préfet et le CDL (Comité de Libération), lui aussi nommé dans la clandestinité. Très communiste et très pro-URSS, ce CDL jouera un rôle clef dans l’épuration.
Cette nuit du 17 au 18, une partie de la Kommandantur, jusque-là en poste à Cahors, la passe à Caussade, à quarante-cinq kilomètres de là, et c’est là que le bataillon turkmène tout entier – ce qu’il en reste ! – se révolte contre les officiers et le personnel allemand, qui ont juste le temps de se mettre à l’abri dans leurs véhicules. Ce même 17 août 1944, à des milliers de kilomètres de là, l’écrivain soviétique Vsévolod Vichnevski note dans son journal que « la radio américaine signale la « situation sans espoir de l’armée allemande en France » »…
Cahors est libérée, mais Chapou, le créateur de la Résistance du Lot, est mort dans des circonstances très suspectes, et des milliers de ceux qui ont risqué leur vie pour cette Libération travaillent, comme des esclaves, dans des camps nazis.
Le 18 au matin, les Cadurciens découvrent les noms de « Paul » (Robert Dumas) et de « Georges », Chef d'Etat-major des FFI du Lot, au bas d'une affiche, également publiée par Le Partisan :
« Le département est libéré. Votre localité est débarrassée de l’ennemi. (…) Restez calmes. Ayez confiance en nous. Ceux qui ont trahi la France recevront le châtiment que mérite leur trahison, les patriotes victimes des nazis et de Vichy seront vengés. Mais la justice se fera dans l’ordre. Continuez de vaquer à vos occupations quotidiennes. (…) »
Les Cadurciens – y compris ceux qui n’ont jamais été résistants - envahissent alors le boulevard Gambetta en criant « Vive de Gaulle ». Un témoin de l’événement raconte que, dans la ville, « une joie intense » régnait et que « les gens s’embrassaient », mais il souligne avoir aussi « vu, immédiatement, le « mauvais côté » des choses » : « On interpellait ceux qui étaient associés à la collaboration. Toute cette violence a explosé. Tout le monde marchait bras dessus, bras dessous, et des hommes commençaient l’épuration sans tenir compte des réalités. »
 
Alors que ce témoin parle de « règlements de comptes » et de « vengeances personnelles », Roger Mendès, résistant FTP, n’affichera pas le moindre doute dans ses mémoires :
« Nous entrons dans Cahors. C’est la chasse à la vermine, « miliciens et autres collaborateurs ». Ils avaient bonne mine. Car, après leur avoir servi de mouchards et livré ceux qui croyaient toujours à la victoire et qui se battaient pour la liberté, ces tristes personnages vont avoir des comptes à rendre et n’auront plus leurs « amis » qui les ont abandonnés. »
Le problème, c’est que les principaux « miliciens et autres collaborateurs » ne sont plus dans la ville…
D’après Défenin, le premier travail de ses « équipes de sécurité » fut d’examiner la situation de plusieurs centaines de personnes qui se trouvaient déjà dans la prison de la ville :
« Il faut dire que, dès le départ des Allemands et pendant les quelques heures qui précédèrent notre arrivée à Cahors, un groupe de personnes dont la plupart n’avaient aucune attache avec la Résistance, certains étant même des éléments très douteux, prirent le commissariat de police et procédèrent à de nombreuses arrestations. C’est ainsi qu’ils se rendirent à la gare où la plupart des personnes s’y trouvant furent arrêtées et enfermées à la prison de Cahors ».
 
Est-ce exact ? Et est-il exact qu’à peine installé à la préfecture, Dumas aurait reçu une liste de 630 collaborateurs ? Il l’aurait déchirée, affirmant qu’on ne pouvait « quand même pas fusiller tout le monde ».
Défenin l’assure – et l’abbé Sote, tout jeune vicaire en 1944, le confirme : les « prostituées de la rue Bouscara » furent tondues et « durent défiler sur le boulevard en se rendant à la prison où elles furent enfermées ». Défenin ajoute : « Pourtant, durant des mois, ces filles interrogeant leur clientèle allemande nous communiquaient tous les renseignements sur les déplacements des troupes allemands et les éventuelles attaques des maquis. » Est-ce vrai ? Rien n’est moins sûr… Mais il faut des filles pour calmer ces jeunes hommes qui ont passé des mois, entre eux, sur le Causse…
C’est ce que racontera l’un des FFI, Pierre Castanet, qui n’évoque, lui, aucune arrestation de prostituées :
« (…) il faut se remettre avec objectivité dans le contexte du moment, dans l'euphorie générale, c'était tout et n'importe quoi, c'était le « bordel ». Au sujet de bordel, il y en avait deux à Cahors. Comment se serait comporté près d'un millier de jeunes de 16 à 25-30 ans sans les bordels. Pendant une quinzaine de jours, ils ont fait le plein, nuit et jour (…) »
 
Y a-t-il eu des femmes tondues à Cahors en août 1944, à part ces prostituées ? C’est vraisemblable, mais rien ne l’atteste, alors que des documents en témoignent pour juin 1945. Certains témoins parlent néanmoins de Kiki Moustic, qui faisait le tapin, d’autres de Madeleine T., mais sans la moindre certitude… L’abbé Sote est le seul à se rappeler précisément d’une scène vue, le jour ou le lendemain de la Libération : une jeune fille qui chantait dans sa chorale et travaillait au ravitaillement (et peut-être s’agit-il ici d’Huguette F.) a été accusée de collaboration, « car elle avait couché avec des Allemands ». Elle a été tondue, et il l’a vue passer, sur une charrette : on l’exhibait avec trois ou quatre autres, du côté de Saint-Barthélémy… Madame S. se rappelle aussi avoir vu « une sorte de grande carrette avec des filles aux cheveux tondus » : « Il y en avait beaucoup. », souligne-t-elle. Et comme le souligne l’historien américain Peter Novick, ses malheureuses « furent en bonne partie (…) les instruments du salut de miliciens et de collaborateurs qui auraient dû, sans elles, mourir pour apaiser la fureur de leurs concitoyens »... Sauf qu’eux n’étaient plus là…
 
Défenin l’admet, à sa façon, en revenant sur ces arrestations faites avant l’arrivée de ses équipes :
« Plusieurs jours nous furent nécessaires pour examiner la situation des personnes arrêtées, dont la presque totalité, n’ayant rien à se reprocher, fut relâchée. Mais le temps pris pour les enquêtes avait permis aux collaborateurs et miliciens, notamment Colin, chef de la milice (sic), de quitter Cahors sans être inquiétés. »
Et, pour lui, « il est certain que le but poursuivi par certains éléments douteux fut de créer la confusion… afin que ceux qui avaient quelque chose à se reprocher puissent se mettre à l’abri ».
 
L’explication est très douteuse : force est de constater que les « services de sécurité » de Défenin ne se sont pas lancés à la poursuite de ceux qui venaient de quitter la ville et que leurs listes de responsables à arrêter – comme celle du 1er août – manquaient pour le moins de rigueur. D’ailleurs, Colin n’était pas « chef de la milice »... Sans compter que les principaux « collabos » étaient partis avant même le 17 août. Et quels auraient été ces « éléments douteux » qui auraient empêché l’action des FFI en créant « de la confusion » ?
 
Dès le 18 août, d’autres arrestations suivent. L’« état nominatif des détenus politiques écroués » à la maison d’arrêt de Cahors montre que, ce jour-là, soixante-neuf hommes - dont les quinze qui seront fusillés le 20, mais aussi l’industriel Jean A., relâché le lendemain, et le roi local de la truffe – et trente femmes – dont Huguette F., Yvonne M. et Yvonne O. - sont incarcérés. Et ce n’est qu’un début
 
billet de Cécile Vaissié publié voilà 9 ans (et partagé sur FB)Marco


17/08/2022
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