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��� Algérie : 60 ans d’indépendance, 60 ans d’errance

  • par Ferghane Azihari, pour Le Point - août 2022
Depuis qu'elle s’est libérée de la tutelle française, l’Algérie n’a fait que remplacer une domination étrangère par une servitude indigène.
Six décennies se sont écoulées depuis l'indépendance de l'Algérie. Les accords d'Évian ont mis fin à 130 ans d'histoire impériale. Pour quels résultats ? Parler de gâchis ne relève pas de l'arrière-pensée coloniale. Les flux migratoires contrarient le nationalisme dithyrambique en vogue dans les diasporas et les élites algériennes. Celles-ci présentaient naguère l'indépendance comme le moyen de décourager l'émigration des forces vives du pays.
Or, «du 1er septembre 1962 au 11 novembre inclus, 91 744 entrées d'Algériens sont enregistrées dans l'Hexagone», nous apprend l'historien Benjamin Stora. La population algérienne en France ne cessa de grandir au fil des années. Elle passa de 471.020 à 820.900 entre 1968 et 1988. Ainsi que le note Pascal Bruckner, il semble que l'Europe ait fait son deuil des colonies beaucoup plus vite que les ex-colonisés n'ont fait leur deuil de l'Europe.
On comprend ces derniers, tant la prospérité hexagonale contraste avec l'arriération de leur pays d'origine. De l'autre côté de la Méditerranée, on attribue cette anomalie à une colonisation dont on entretient le souvenir pour entretenir la «rente mémorielle» décrite par Emmanuel Macron. La démarche est similaire à celle des politiciens français qui, 75 ans après la chute du nazisme, déclament avec un lyrisme plus ou moins sincère leur gaullisme pour dissimuler leur vacuité face aux enjeux présents.
 
Mais l'histoire avance, au grand dam des kleptocrates algériens. Le prestige hérité des luttes indépendantistes s'effrite à mesure que les jeunes générations remplacent celles ayant connu la colonisation. Le passé colonial ne saurait être le bouc émissaire éternel de l'incapacité du pouvoir à satisfaire ces nouvelles attentes. Le monde regorge trop d'exemples d'ex-colonies ayant pris leur revanche sociale sur leurs métropoles. Le niveau de vie des Singapouriens – qui était il y a soixante ans plus faible que celui de l'Algérie – est désormais plus élevé que celui de leurs anciens maîtres britanniques. Ce fait donne autant d'espoir sur la capacité des pays du Sud à s'extraire de leur condition qu'il révèle l'incurie de nombreux gouvernements postcoloniaux.
 
Mues par un provincialisme étroit, les élites algériennes n'ont guère voulu tirer parti des meilleurs traits de la civilisation occidentale au motif qu'elle est importée. Le catéchisme tiers-mondiste assimile cette attitude à une réaction naturelle : «La dépossession culturelle inhérente à la domination coloniale a fini par nourrir une dynamique inversée, celle de retrouvailles passionnées, émotionnelles et donc parfois volontaristes de la société avec l'univers symbolique de la culture du père, que l'irruption étrangère avait réussi pour un temps à folkloriser», écrit l'islamologue François Burgat. Outre qu'elle est fausse, cette thèse suggère que les Algériens sont trop simples d'esprit pour faire la part des choses. Car il est en effet possible de lutter contre un impérialiste en reconnaissant que certains de ses traits culturels sont supérieurs aux traditions indigènes.
 
La malédiction des pays du Sud
Telle fut l'attitude des pays européens marqués par le joug napoléonien. Ces derniers ne sont pas revenus sur leur modernisation au motif qu'elle fut entreprise par un conquérant qu'il fallait défaire. De même, les Japonais n'ont guère balayé le régime parlementaire instauré par les États-Unis après deux bombes atomiques. Dans les deux cas, l'acceptation du régime politique imposé par l'ennemi s'explique par l'adhésion des populations aux idéaux qui le sous-tendent.
 
Mais en Algérie, la conversion aux idées occidentales s'est toujours heurtée à cette superstition qu'est l'islam. Encore que ce jugement est trop sévère. Il est une idéologie occidentale parvenue à se faire une place sous le soleil oriental : c'est le socialisme qui, depuis Ahmed Ben Bella et Houari Boumédiène, a également éloigné l'Algérie de la modernité. C'est la malédiction des pays du Sud : quoique pressés d'abolir la tutelle symbolique de l'Occident, ils déploient des efforts colossaux pour importer ses échecs plutôt que ses succès.◾
  • Illustration : Conférence de presse des membres de la délégation algérienne lors de la négociation des accords d'Évian, à Évian-les-Bains, en mars 1962. © KEYSTONE-FRANCE / KEYSTONE / HS ALGERIE / KEYSTONE-FRANCE / GAMMA-RAPHO
Peut être une image de 10 personnes, personnes debout, personnes assises et intérieur
 
 
 


15/08/2022
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