2142- 60 ans d'une "incomplète" indépendance algérienne 5 posts

Soixante ans d’une incomplète indépendance algérienne

 

Le 5 juillet, l’Algérie fête les soixante ans de son indépendance après la guerre avec la France. L’historien Pierre Vermeren revient sur son histoire, depuis « la régence d’Alger » jusqu’à la république militaire contestée par le Hirak

 

 

 

Grand spécialiste de l’histoire du Maghreb, le Bordelais
Pierre Vermeren, professeur en Sorbonne, publie
un ouvrage (1) qui embrasse l’histoire longue de l’Algérie.

Riche province ottomane tombée en 1830 sous la coupe de la
France de Charles X après une expédition hasardeuse, l’Algérie
s’est émancipée de cent trente ans de tutelle française à
l’issue d’une guerre de huit ans.Elle a forgé un puissant État-nation

calqué sur celui du colonisateur et qui n’a pas rempli les
promesses de l’indépendance célébrée il y a soixante ans, le
5 juillet 1962. Entretien Recueilli par Christophe Lucet (Sud-Ouest)


En 2019, les défilés du Hirak exigeaient
une nouvelle indépendance. Pourquoi?


Parce que la promesse du Front de libération nationale (FLN) et
des partis algériens, c’était à la fois l’indépendance nationale
et la démocratie. Mais dès l’été 1962, l’armée des frontières dirigée
par Houari Boumediene a marché sur Alger et évincé les
hommes du Gouvernement provisoire de la République algérienne
(GPRA), branche politique du mouvement nationaliste,
comme l’a raconté Ferhat Abbas dans « L’Indépendance
confisquée ». Et la nouvelle « Armée nationale populaire »
(ANL) n’a jamais autorisé d’élections libres. Depuis, tous
les présidents sans exception, bien qu’élus, ont été choisis par
l’armée. Sous Boumediene (1965-1975), il n’y avait même
plus de constitution.

 

 

Cette « république militaire » a failli
basculer en 1988, puis en 1991. Que
s’est-il passé ?


En octobre 1988, l’impensable s’est produit quand l’armée a
fait tirer sur de jeunes manifestants pour la première fois depuis
l’indépendance. Ces émeutes sociales étaient causées par
la chute des revenus et la hausse des prix après le contrechoc
pétrolier de 1986. Le « système » a alors semblé se désagréger.
Les partis et associations ont été autorisés, la presse libéralisée,
des élections libres organisées.
Les islamistes en ont profité pour fonder le Front islamique
du salut (FIS) qui a remporté les municipales de 1990,
puis le premier tour des législatives de 1991. Avec à la clé un
nouveau coup d’État militaire.


Pourquoi l’armée a-t-elle suspendu
le processus démocratique ?


Elle ne voulait pas d’une République islamique. Les islamistes,
qui accusaient les militaires d’être les nouveaux colons,
rêvaient d’installer un califat à la place de l’État-nation : un sacrilège
pour l’armée, car à ses yeux, l’héritage de l’indépendance
était justement cet État nation créé par le mouvement
nationaliste. Il fallait sauver l’État coûte que coûte, ce qui a
débouché sur dix ans d’une terrible guerre civile.


Cet État algérien ressemble beaucoup
à l’État français. Surprenant, non ?


Non, car le nationalisme algérien s’est construit en miroir inversé
du nationalisme français. Comme lui, il est jacobin, unitaire
et centralisateur. En plus, il a emprunté au mouvement
des oulémas (mouvement politico- religieux musulman né en
1931 en Algérie, NDLR) un mot d’ordre – « l’Algérie est notre
pays, l’arabe notre langue, l’islam notre religion » – pratique
pour rassembler efficacement dans la lutte un pays par nature
très divers, peuplé aussi de Français, de Juifs algériens, de
Berbères, de Touaregs. Il fallait une idéologie capable d’effacer
les différences.


Dire que l’Algérie « parle arabe » est pour le moins simplificateur…


En effet. Le régime a imposé l’arabisation à un pays dont les
élites parlaient – et parlent toujours  français et dont le peuple
est largement berbérophone.
En 1970, il n’y avait pas un professeur d’arabe dans le
pays. La langue berbère, elle, était qualifiée d’invention coloniale.
Mais du fait des révoltes, de la guerre civile et des printemps
arabes, elle a fini par être reconnue comme langue nationale,
puis officielle, malgré les réticences du FLN.


Avant 1830, l’Algérie était une province
ottomane, mais pas n’importe laquelle…


Non, c’était la plus riche. Elle fut ensuite la colonie française la
plus prospère, avant de devenir, à l’indépendance, le plus
grand pays africain par la superficie, doté de la plus forte
armée et de grandes ressources.
D’où la fierté nationale algérienne.


Pour la France, l’Algérie a été et reste
essentielle. Pourquoi ?


Chaque fois que la France a été battue en Europe, elle a pu se
reconstruire militairement en Algérie : ce fut vrai en 1830 avec
l’expédition d’Alger, en 1870 après la défaite contre Bismarck
et en 1940 après la débâcle avec l’épopée de « l’armée
d’Afrique ». Les Français ont eu un mal fou à accepter la perte
d’une colonie qui était la garantie de leur existence comme
grande nation. Et malgré l’indépendance, la relation s’est
poursuivie.


De Gaulle ne voulait-il pas se débarrasser
du problème algérien ?


Si. Cela ne l’a pas empêché de négocier tous azimuts pour investir,
accueillir des étudiants, des fonctionnaires, des militaires,
continuer d’exploiter le pétrole du Sahara, rester le premier
partenaire commercial, mais aussi signer en 1968 un accord
migratoire totalement dérogatoire resté en vigueur jusqu’à
nos jours. La France mène en Algérie une politique étrangère
à nulle autre pareille, que les Algériens voient comme un
dû, l’expression d’une dette des Français envers eux.


Vous notez que 80 % de la diaspora algérienne,

entre 6 et 7 millions de personnes,
est concentrée en France. Un cas unique ?


Absolument. Cette émigration est ancienne – elle démarre en
1905 – francophone, très concentrée.
Pour la plupart des Algériens, c’est la suite normale
de l’histoire de deux pays intriqués l’un à l’autre, unis par une
relation d’amour/haine très compliquée à gérer. On l’a vu
sous le premier quinquennat Macron, qui s’est heurté à un
mur malgré ses ouvertures. Mais les Algériens restent la
première communauté étrangère en France et l’histoire va se
poursuivre.


Outre la question mémorielle, quel est
le grand enjeu ?


« L’Algérie n’a pas d’économie », a dit lui-même l’actuel président
Tebboune. Il faut que ce pays de bientôt 50 millions
d’habitants pense à l’après-pétrole comme l’ont déjà fait les
pays du Golfe. La coopération avec la France peut y contribuer
mais ce n’est pas l’émigration qui réglera les problèmes
économiques algériens.


(1) « Histoire de l’Algérie contemporaine, de la Régence d’Alger au Hirak – XIXe-XXIe siècles», de Pierre Vermeren, éd. Nouveau Monde, 398 p., 22,90 €.



03/07/2022
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