Le tribun Mélenchon se voyait déjà à Matignon. Au tour de ses silences d'être éloquents.

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Il va nous manquer. Depuis six mois, il passait sur les plateaux de télévision comme une autoroute à travers un village. À force, il encombrait un peu le paysage. Goguenard, railleur, ricaneur, malicieux, persifleur, moqueur, gouailleur, caustique, satirique... On n’entendait que lui. En leur temps, Danton et Gambetta ont dû provoquer les mêmes enthousiasmes et les mêmes fureurs. Sauf que lui ressemblera plus à Jaurès, qui n’est jamais arrivé aux manettes. Clemenceau, cette langue de peste, s’en amusait : « Dès que j’entends parler au futur, je sais que c’est lui. » J’ai peur que la même fatalité menace Jean-Luc Mélenchon. Il s’est vu gagner trop tôt, un peu comme les jonquilles précoces qui n’attendent pas le retour des hirondelles. Matignon n’aura été que la chimère d’un adepte de la méthode Coué. L’autosuggestion n’a pas suffi.

 

Rêver d’être Premier ministre d’Emmanuel Macron juste pour comploter contre lui, c’était une lubie à la Louis de Funès dans « La folie des grandeurs ». On aura échappé au modèle vénézuélien, l’un des pays avec le plus fort taux d’homicides au monde. Tout comme celui de l’émigration. Avec des modèles comme Chavez, Maduro ou Castro, l’avenir s’annonçait sombre. Pour un peu, une Zad se serait installée à l’Assemblée nationale. Qu’en serait-il sorti ? Mystère. La vérité de Jean-Luc Mélenchon est mutante, amendée, remaniée et alternative. Lacan aurait parlé de ses « varités ». Hier, il vouait aux gémonies les grenouilles de bénitier ; maintenant, il couve du regard celles de minaret. Souvent l’âme varie mais on s’y perd. Même chose à l’égard des forces de l’ordre. Véritable pitbull à Paris, il se transforme en caniche dès qu’il approche de La Havane ou de Caracas. La simple vue de l’immense casquette du préfet Lallement lui tourne les sangs, mais les sections spéciales du premier général Tapioca venu lui allument des étoiles dans les yeux. Ici la police tue, là-bas elle protège.

 

On peut tout reprocher à Mélenchon sauf de n’être pas intelligent

C’est ainsi : son caractère est inflexible mais extensible. Cela dit, seuls les idiots ne varient pas d’opinions. Les incohérences font partie d’un parcours politique comme les collines dans un paysage. Si on tient à garder ses idées, mieux vaut changer de parti de temps en temps. Impossible pour lui : il avait trop longtemps labouré le terrain de l’extrême gauche pour l’abandonner à d’autres. De toute manière, les bonnes vieilles recettes néocommunistes lui allaient bien : sortie de l’Otan, sabotage de l’Union européenne, retraite à 60 ans et croissants au lit pour tout le monde. Qu’importe s’il fallait au passage fermer les yeux sur les violences urbaines, les incivilités, les cités voilées, les black blocs et, mine de rien, en sourdine, sans s’en vanter, sur l’antisémitisme. Comme le disait Scott Fitzgerald, « l’intelligence, c’est de fonctionner sur des idées contradictoires ». Et on peut tout reprocher à Mélenchon sauf de n’être pas intelligent. OK, il est agressif, vaniteux, sophiste, querelleur, susceptible, méprisant, redondant et, parfois, cuistre, mufle et fat, mais son cerveau fonctionne. Et à des milliers de tours par minute ! C’est son caractère à la Trump qui dérange.

 

Il parle trop fort, il veut toujours avoir le dernier mot, il étale sa culture, il se croit infaillible parce qu’il croit ce qu’il dit, il prend chacune de ses étincelles pour un brasier. Avec ça, il affiche de grands airs. À l’occasion, quand il sort de voiture, si un visage ne lui revient pas, il agite une main dédaigneuse pour que sa cour éloigne le faquin en question. Ça fait tellement Ancien Régime. Ne parlons pas des journalistes, son regard glisse sur nous comme sur de vieilles feuilles de chou froissées. Parfois, un air de grande lassitude l’effleure, celle de l’homme fatigué de porter seul sur ses épaules le sort de la France. Pour la droite et Emmanuel Macron, il en faisait son affaire : valsant avec les chiffres comme Tarzan avec ses lianes, il avait réponse à tout. C’est la gauche qui le tourmentait. Ayant enterré la hache de guerre avec le PS en la lui plantant en plein crâne, il lui restait les Verts. Frustrée de s’être fait voler la vedette par la mairie de Grenoble et ses burkinis , celle de Lyon veut lancer les « pistes cyclables non genrées ». Là encore, ça promet. Eh bien, ce sont les autres qui se coltineront ce genre de fantaisies. Il a dû se dire : « Ouf ! »