2114- Le mythe de l'alliance franco-russe 6 posts

Pour en finir avec le mythe de l’alliance franco-russe

  • par Gérard Araud, pour Le Point - septembre 2022
 au nom d’une relation spéciale et ancestrale. Qu’en est-il vraiment ?
L’invasion par la Russie de l'Ukraine a conduit, aux deux extrêmes de l'échiquier politique, au débat habituel sur l'importance des relations que notre pays entretient et doit continuer à entretenir avec la première. Les références inévitables aux deux guerres mondiales et au général de Gaulle ont servi le plus souvent d'arguments, tandis qu'antigermanisme et antiaméricanisme plus ou moins subtilement évoqués en étaient les justifications réelles. La France et la Russie seraient donc liées pour l'éternité par des intérêts communs à défaut de l'être par des valeurs. Qu'en est-il dans les faits, au-delà des paresses intellectuelles et des préjugés idéologiques ?
 
Rappelons d'abord qu'après l'irruption de la Russie sur la scène européenne, au début du XVIIIe siècle, la diplomatie française a longtemps considéré ce pays comme un facteur de déstabilisation qu'il fallait contenir à l'exception du bref et malheureux rapprochement entre Napoléon et Alexandre Ier. C'était le cas sous l'Ancien Régime où on essayait de sauver l'allié polonais ; c'était la conviction de Vergennes et de Talleyrand ; ce fut encore le cas au XIXe siècle, comme en témoigna la guerre de Crimée conduite par la France et la Grande-Bretagne pour défendre l'Empire ottoman. Puissance et menaçante pour les uns, empire despotique pour les autres, la Russie devait être arrêtée dans sa marche vers l'ouest et si possible refoulée.
 
Une amitié qui dura… 25 ans
L'unité allemande et la défaite de la France en 1870 ont été nécessaires pour modifier cette politique centenaire. Ce ne fut pas immédiat. En effet, d'un côté, Bismarck s'attachait à maintenir l'entente entre son pays et la Russie et, de l'autre, la jeune République et le tsarisme absolutiste n'éprouvaient guère de sympathie l'une pour l'autre. Il fallut attendre la chute du vieux chancelier allemand en 1890 pour voir enfin Paris et Saint-Pétersbourg conclure une alliance défensive.
Rien ne rapprochait les deux pays si ce n'est la peur de la puissance croissante de l'Allemagne. La fameuse amitié franco-russe dura donc de 1892 à 1917, jusqu'à la révolution bolchevique. Dans l'entre-deux-guerres, ce ne fut qu'après l'accession au pouvoir de Hitler, en 1933, que l'URSS chercha à se rapprocher de la France qu'elle considérait jusque-là comme une ennemie, mais elle s'y heurta à l'anticommunisme de la classe dirigeante et décida finalement qu'il était plus profitable de conclure un accord avec l'Allemagne nazie en août 1939.
 
C'est l'agression allemande en juin 1941 qui mit dans le même camp la France libre et l'URSS. Après 1945, la France était clairement dans le camp occidental face au bloc communiste dirigé par l'URSS. Le général de Gaulle, que chacun invoque aujourd'hui, conduisait certes un dialogue indépendant avec Moscou mais, à chaque crise entre les deux blocs, qu'il s'agisse de Berlin en 1961 ou de Cuba en 1962, il a manifesté son entière solidarité avec les États-Unis. La France était autonome au sein de l'Otan mais elle y était une alliée solide. C'est donc une légende de faire de la Russie un allié traditionnel de la France. Elle ne l'a été que brièvement et dans une conjonction spécifique, toujours face à l'Allemagne.
 
Poutine n'est pas un réformiste mais un révolutionnaire
Ce fondement qui a un temps rapproché la France et la Russie n'existe à l'évidence plus. Avant le 24 février, nul à Paris ne niait l'importance de conserver des relations amicales avec la Russie mais force était de conclure qu'il n'y avait aucune base pour évoquer une alliance avec ce pays : aucun ennemi commun, aucune valeur commune. Par ailleurs, la question se posait de savoir s'il était possible de parvenir à un modus vivendi entre l'Europe démocratique et une Russie qui se disait insatisfaite de l'ordre géopolitique à ses frontières.
Le président de la République a exploré avec Poutine les voies de parvenir à un éventuel compromis à cet égard. Quelques jours avant le lancement de l'intervention russe, il était encore à Moscou et à Kiev pour tenter d'éviter le pire. Un accord aurait été possible si c'était ce que recherchait Poutine. Mais, celui-ci ne visait pas à améliorer le statu quo au bénéfice de son pays, mais à le renverser.
Ce n'est pas un réformiste mais un révolutionnaire. Il ne se satisfaisait pas des concessions qu'étaient prêts à lui faire les Européens sur la place de l'Ukraine dans le système de sécurité européen. Il savait que l'adhésion de ce pays à l'Otan était exclue dans les faits. Il a choisi la guerre pour vassaliser l'Ukraine après en avoir fait autant avec la Biélorussie. La politique étrangère, ce ne sont pas des automatismes hérités de l'Histoire. Elle reflète les réalités du moment. Aujourd'hui, ce n'est pas être antirusse que de constater que rien ne peut nous rapprocher de Moscou aussi longtemps que se poursuivra l'agression contre l'Ukraine. Tout au contraire, l'intérêt national est de ne pas permettre que soient remises en cause par la force les frontières en Europe.
 
Il fallait tout tenter pour parvenir à un accord avec la Russie et tout a été tenté par la France. Ce débat est désormais dépassé. Nul ne peut espérer que, même dans le cas d'une cessation des hostilités en Ukraine, on puisse «recommencer comme avant». La Russie a choisi la confrontation militaire. Elle nous impose ainsi la vigilance armée. C'est à elle de changer du tout au tout pour nous permettre de reprendre éventuellement un dialogue confiant avec elle.�
 
 


09/10/2022
6 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion