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ANALYSE | « Le Monde » a passé au crible le projet de la candidate du
Rassemblement national à l’élection présidentielle. Les modifications de la Constitution qu’elle prévoit visent à la mise en place d’un Etat autoritaire.

 

 

 

Une présidente suscitant le rejet, un scandale qui couve et un candidat
d’extrême droite en passe de gagner l’Elysée : dans le film Le Monde d’hier, du
réalisateur Diastème, sorti en salle ce mercredi 30 mars, le secrétaire général de
l’Elysée alerte la cheffe de l’Etat quatre jours avant le premier tour de l’élection :
le chef de file de d’extrême droite « ne fait peur à personne pour le moment, mais
tu sais comme moi qu’il est très dangereux. Il commencera en douceur, et puis… »
Et puis l’«horreur» achève-t-il


CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


Marine Le Pen : un programme fondamentalement d’extrême droite derrière une image adoucie
Par Ivanne Trippenbach et Franck Johannès


Publié le 31 mars 2022 à 11h30 - Mis à jour le 10 avril 2022 à 08h56

ANALYSE | « Le Monde » a passé au crible le projet de la candidate du
Rassemblement national à l’élection présidentielle. Les modifications
de la Constitution qu’elle prévoit visent à la mise en place d’un Etat
autoritaire.Et puis l « horreur », achève t il.


Lire aussi :
Résultats de la présidentielle 2022 en direct : le directeur de campagne de Jean-Luc
Mélenchon reconnaît qu’il ne sera pas au second tour
A dix jours du scrutin présidentiel de 2022, l’« horreur » n’est plus associée dans
l’opinion à Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national (RN) a plus
que jamais adouci son image quand son programme demeure, lui, toujours
contraire aux valeurs démocratiques et républicaines. Celle qui a évité de surfer
sur le pouvoir de la rue pour tout miser sur la présidentialité et le respect du
processus électoral s’affirme légaliste.


De fait, elle promet de « respecter » la loi et la Constitution, mais elle entend, en
réalité, changer l’une et l’autre de fond en comble. La politique prime le droit,
assume-t-elle, avec l’ambition de mettre en oeuvre un projet qui écorche droits
fondamentaux et libertés individuelles, sans lesquels la démocratie n’est que le
pouvoir du plus grand nombre et non le respect de tous.


Lire aussi :
Marine Le Pen présente un budget bancal de son projet pour la présidentielle
Marine Le Pen a prévenu : la première mesure qu’elle prendra si elle accède à
l’Elysée sera de soumettre par référendum un projet de loi, déjà rédigé, sur
l’immigration et l’identité, et dont découle sa politique. Elle videra de son
contenu une partie du préambule de la Constitution de 1946 et modifiera au
moins six articles de la Constitution de 1958… « sans remettre en cause l’Etat de
droit », dit-elle, avec aplomb. « Un avantage considérable », souligne-t-elle
toutefois dans son projet, puisque « le Conseil constitutionnel ne peut examiner
une loi adoptée par référendum. Elle est donc entièrement applicable sans
restriction ».


Il s’agit d’un coup de force constitutionnel qui, s’il était adopté, bouleverserait
jusqu’à l’héritage de la philosophie des Lumières et de la Révolution française.
Forte du précédent de 1962, où de Gaulle avait instauré par référendum
l’élection du président de la République au suffrage universel, elle entend
s’appuyer sur l’article 11 de la Constitution, qui ne vise pourtant pas les révisions
constitutionnelles. « Ce que Marine Le Pen propose, c’est une sorte de coup
d’Etat ! », s’indigne le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Réplique de
l’eurodéputé RN Jean-Paul Garraud, le potentiel ministre de la justice de la
candidate, qui rédige ses textes : « Si le peuple le veut, on le fait. »


En savoir plus sur le FN et le RN Test gratuit
Etrangers : une discrimination légale assumée
En mars 2021, Marine Le Pen a tenté de mettre en pièces l’image de racisme et de
xénophobie associée à son parti : « Je n’ai pas peur des étrangers. » La candidate
du RN entend pourtant « refondre » l’ensemble du droit des étrangers pour
éviter ce qu’elle nomme « la dilution de la France par déconstruction et
submersion ». Son projet prévoit d’inscrire dans la Constitution une allusion
Arrivée du bus de campagne et des militants à Menton (Alpes-Maritimes), le 12 février 2022. CYRIL
BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


p j p
indirecte à la théorie raciste du « grand remplacement », en excluant toute
politique qui entraînerait « l’installation d’un nombre d’étrangers sur le territoire
national de nature à modifier la composition et l’identité du peuple français ».
Marine Le Pen souhaite, en dépit des engagements internationaux de la France,
restreindre de 75 % les arrivées liées à la vie familiale et au droit d’asile. Les
aspirants réfugiés devront solliciter l’asile dans les consulats à l’étranger.
Comme au temps du Front national (FN), la « préférence nationale » constitue la
clé de voûte de son projet : il s’agit d’instaurer une discrimination légale entre
nationaux et étrangers pour accéder à l’emploi privé, à la fonction publique, au
logement social, à l’hôpital ou aux prestations sociales. L’inscription de cette
« priorité nationale » dans la Constitution dénaturerait les principes de la
République : l’égalité de tous en droit issue de la Déclaration de 1789, l’existence
de « droits inaliénables et sacrés » des êtres humains « sans distinction de race, de
religion ni de croyance » du préambule de 1946, ou encore l’égalité devant la loi
de la Constitution de 1958.


Lire aussi :
Présidentielle 2022 : la politique migratoire, un thème imposé dans la campagne
électorale
Si Marine Le Pen a très discrètement renoncé à interdire la double nationalité,
elle entend abroger la naturalisation « automatique » par le mariage et
supprimer le droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers
eux-mêmes nés en France, en vigueur depuis 1889 et jamais remis en cause,
même sous le régime de Pétain. Son projet reste organiciste, une caractéristique
de l’extrême droite, puisqu’il appréhende la société comme un être vivant
menacé par des corps étrangers. Selon l’historien Nicolas Lebourg, Marine Le
Pen veut « régénérer cette communauté unitaire, qu’elle repose sur l’ethnie, la
nationalité ou la race ».


Islam : une intervention de l’Etat dans le culte
On aura vu Marine Le Pen, le 16 mars, dans l’émission « Face à Baba », de Cyril
Hanouna, s’ériger en avocate d’une adolescente portant le voile. « Je vais te faire
comprendre l’humanité, répond-elle sèchement au polémiste Jean Messiha, son
ex-conseiller converti en soutien d’Eric Zemmour. Je vais te faire comprendre la
différence entre lutter contre l’islamisme et s’attaquer à une jeune fille qui ne doit
pas avoir plus de 15 ans et qui voulait faire une photo avec moi. Qu’est-ce que tu
aurais fait, toi ? Tu lui aurais arraché son voile ? » Ses reparties font mouche : il
paraît loin, le temps où elle écrivait, dans son autobiographie, A contre flots
(Jacques Grancher), en 2006, que « ce n’est pas à la République française de se
soumettre aux valeurs de l’islam, c’est à l’islam de se soumettre à la République
française ».


Bien avant l’émergence d’Eric Zemmour, en février 2021, la candidate du RN a
amorcé ce tournant-clé qui avait choqué ses troupes. « Je n’entends pas
m’attaquer à l’islam, qui est une religion comme une autre, assurait-elle en débat
sur France 2 face au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Je souhaite
conserver sa liberté totale d’organisation et la liberté totale de culte. »
Marine Le Pen, lors de son audition devant l’Association des maires de France, les Régions de France et
l’Association des départements de France. A Montrouge (Hauts-de-Seine), le 15 mars 2022. CYRIL
BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


Lire aussi
Débat entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin : la dédiabolisation par procuration
Marine Le Pen a, en fait, noyé le poisson dans un texte visant à « combattre les
idéologies islamistes », présenté en janvier 2021 et rédigé comme un projet de loi.
« Y a plus qu’à le voter, c’est clé en main », a-t-elle agité, sous le nez de Jean
Messiha. Ce projet menace pourtant les libertés individuelles au point d’être
qualifié de « texte totalitaire » par Didier Leschi, préfet chevénementiste et
ancien chef du bureau central des cultes, auteur de Misère(s) de l’islam de France
(Cerf, 2017). D’abord parce que Marine Le Pen veut intervenir dans le culte
musulman en bannissant le port du voile de la rue, les services publics et tous
les « lieux ouverts au public ». « C’est un uniforme totalitaire », clame-t-elle avec
constance.


Depuis peu, elle distingue signes musulmans et autres signes religieux, comme
la kippa, quitte à rompre avec l’égalité des cultes sacralisée par la loi de 1905. Un
non-sujet, veut désamorcer son directeur de cabinet, Renaud Labaye : « Nous
considérons que l’islamisme n’est pas une religion et qu’une personne qui porte le
voile est une islamiste », de même pour la djellaba et la barbe islamique. L’Etat
redéfinirait, de fait, ce qu’est l’islam. A l’inverse, la révision de la Constitution
vise à protéger les crèches de Noël dans les lieux publics.


Son projet revient, enfin, à traquer la pensée à travers la lutte contre l’« idéologie
islamiste ». Une première, selon le préfet Didier Leschi, qui porte atteinte à la
liberté de conscience avant les libertés d’expression ou de culte, et qui « induit
un glissement vers la dictature » en raison de son imprécision. Cette traque serait
menée dans tous les pans de la société, y compris dans les écrits, journaux et
fonds de bibliothèques qui « témoignent d’une quelconque complaisance dans
leur évocation » avec ce qu’un Etat Le Pen considérerait comme de l’idéologie.


Société : les revendications d’égalité mises sous silence
Marine Le Pen joue l’équilibrisme sur les sujets de société. Elle a retiré en 2017 la
peine de mort de son programme, « quitte, disait-elle alors, à ce que les Français
la rétablissent via un référendum d’initiative populaire ». Elle a longtemps
dénoncé les avortements dits « de confort » et réclamait jadis le
déremboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Délicate a été
sa visite en Pologne, en décembre 2021, alors que son allié, le premier ministre
Mateusz Morawiecki, venait de décider que l’IVG ne pouvait être pratiquée que
si la grossesse résultait d’un viol ou mettait en danger la vie de la femme
enceinte. La candidate a soutenu froidement « qu’en l’espèce l’avortement n’est
pas interdit en Pologne ».


La Hongrie de Viktor Orban, l’un de ses modèles, a signé, en octobre 2020, un
appel avec 31 autres pays affirmant « qu’il n’y a pas de droit international à
l’avortement, ni d’obligation des Etats de financer ou de faciliter l’avortement ».
Début 2022, Marine Le Pen s’est opposée à l’allongement du délai d’avortement
de douze à quatorze semaines. Dans son projet, elle défend la « natalité
française » et propose un prêt à taux zéro de 100 000 euros aux couples de
moins de 30 ans, qui se transformera en don à condition qu’ils fassent un
troisième enfant.


Marine Le Pen avait balayé, à Sciences Po en 2012, le sexisme à l’école : « Il faut
arrêter de créer des problèmes là où il n’y en a pas. » Elle se dit féministe mais
opposée à une « guerre de tranchées à l’égard des hommes ». A propos du
mouvement de libération #metoo, elle juge qu’« un équilibre doit être trouvé ».
Marine Le Pen tenant ses tracts de campagne, sur le marché de la ville de Hénin-Beaumont (Pas-de-
Calais), le 22 mars 2022. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


Elle est contre la féminisation des titres – elle « trouve ça vilain » – et n’envisage
pas de maintenir un ministère des droits des femmes. Alors qu’elle rejetait
franchement les lois sur la parité en politique et dans les entreprises, elle dit
avoir évolué. Elle trouvait « grotesque » en 2012 d’« aligner des femmes
uniquement parce que ce sont des femmes » ; le 7 mars, sur LCI, elle « avoue qu’à
l’usage, incontestablement cette loi a permis à des femmes d’émerger ».


Lire aussi :
Marine Le Pen se convertit à la parité à la veille de l’élection présidentielle
Marine Le Pen se défend de remettre en cause le pacs, qu’elle voulait supprimer
en 2016, elle qui s’opposait au mariage pour tous. Elle reste toujours,
aujourd’hui, hostile à l’adoption pour les couples de même sexe. Quant à la
procréation médicalement assistée, elle voulait la réserver aux seuls cas
d’infertilité des couples hétérosexuels et exclure les couples de femmes. A
présent que la loi est votée, Marine Le Pen a répondu, le 10 mars, au magazine
Elle : « La société la réclame, je n’ai pas vocation à m’y opposer, je ne pense pas
qu’un enfant élevé par deux femmes soit moins bien élevé qu’un autre. »


Les droits des homosexuels, dit-elle, ne sont « pas respectés dans toute une série
de zones de non-droit en France » – comprendre, à cause des musulmans. Mais
aux élections régionales de juin 2021, le RN avait publié un livret qui projetait de
supprimer les subventions aux associations « très orientées sur le “vivre ensemble”
et les “discriminations” » – en fait, qui sensibilisaient à l’égalité de
genre, luttaient contre le racisme et l’homophobie ou assistaient les immigrés.
L’eurodéputé RN Thierry Mariani, proche collaborateur de Marine Le Pen, avait
ajouté les associations qui font la « promotion de certaines communautés », en
référence aux LGBT.


Marine Le Pen compare les mouvements dits « woke » de lutte pour l’égalité des
droits ou pour une reconnaissance mémorielle « au Ku Klux Klan ». Elle dénonce
en eux les « vrais séparatistes » et des « néoracistes », et promet de stopper toute
« repentance » sur la guerre d’Algérie ou le génocide du Rwanda. La candidate,
qui se réclame du « peuple », minore ces épreuves de la discrimination décrites
par l’historien Pierre Rosanvallon comme des « obstacles à la constitution d’une
société de semblables », dans un monde où « la valeur intrinsèque de chaque
individu s’est imposée comme une exigence démocratique élémentaire » (Les
Epreuves de la vie, Seuil, 2021). Jamais à l’avant-garde sur les questions sociétales,
elle se range aux droits acquis lorsque la loi est déjà venue traduire de larges
consensus de société.


Un Etat autoritaire et une réduction des contre-pouvoirs
La candidate du RN estime qu’une répression accrue est le seul moyen de
réduire la délinquance. Malgré son discours sur le pouvoir d’achat, la lutte
contre l’insécurité couplée à l’immigration reste le pilier central de son
programme. Il est directement inspiré de celui de l’Association professionnelle
des magistrats, petit syndicat d’extrême droite fondé au lendemain de l’élection
de François Mitterrand et présidé, depuis 2012, par Jean-Paul Garraud.


Marine Le Pen veut non seulement augmenter le nombre de policiers et de
gendarmes, mais aussi obliger les communes de plus de 10 000 habitants à se
doter d’une police municipale armée et laisser les mains libres aux forces de
l’ordre « sans que chaque intervention, chaque interpellation, fasse l’objet d’une
Marine Le Pen dans sa loge en amont de l'émission de BFM-TV « La France dans les yeux », à Hénin-
Beaumont (Pas-de-Calais), le 22 mars 2022. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


mise en cause ». Elle ne croit pas aux violences policières. Lors des
manifestations des « gilets jaunes », elle assurait, le 12 juin 2020, qu’« il n’y a pas
véritablement de problème de violences policières » : « Il y a des défaillances
personnelles, comme il y en a chez les journalistes, les politiques, les enseignants,
les carreleurs. » Elle propose même de rétablir la loi « anticasseurs » de 1970, qui
rendait pénalement responsables des participants à une manifestation au cours
de laquelle des violences avaient été commises, sans qu’ils en soient les auteurs.
Outre l’augmentation des places de prison, elle entend généraliser des peines
planchers pour contraindre les juges à les remplir, instaurer une « perpétuité
réelle », supprimer les réductions de peine automatiques et rompre avec
l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants – le juge pourra supprimer les
allocations familiales de leurs parents.


Marine Le Pen n’a pas grande confiance dans les corps intermédiaires ou les
contre-pouvoirs. Contrairement aux autres candidats, Eric Zemmour et elle
n’ont pas été invités à débattre par la CFDT, qui estime que l’extrême droite
« représente un réel péril pour la démocratie ». La candidate parle très peu des
Meeting de Marine Le Pen, à Bouchain (Nord), le 11 mars 2022. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE
MONDE »


syndicats, le mot n’apparaît même pas dans ses « 22 mesures pour 2022 ». Elle
cible ceux de gauche : « On a toutes les raisons de détester la CGT et [son
président] M. Martinez, disait-elle en 2020, lors du mouvement contre la
réforme des retraites. M. Martinez se rend bien souvent imbuvable. Il est
absolument sectaire, odieux. »


Autre contre-pouvoir, la presse. Marine Le Pen veut privatiser l’audiovisuel
public et supprimer la redevance audiovisuelle : il s’agit d’évincer le service
public, et notamment France Inter, première radio de France. En revanche, elle
apprécie CNews, qui participe, selon elle, à « recréer les conditions du débat »,
alors que les Français auraient subi un « lavage de cerveau pendant des
décennies », disait-elle, en avril 2021, au mensuel L’Incorrect. Un mois plus tôt, la
chaîne de Vincent Bolloré avait été condamnée à une amende de 200 000 euros
pour « incitation à la haine » après des propos d’Eric Zemmour sur les mineurs
isolés.


Union européenne : en sortir sans le dire
Marine Le Pen a officiellement renoncé à la sortie de l’Union européenne et de
l’euro, qui l’avait marquée au fer rouge en 2017. Pourtant, elle envisage bien,
comme le propose son projet de référendum, d’« engager une renégociation de
nombreux textes de droit dérivé, voire des traités eux-mêmes » – la majeure partie
de son programme, qui nécessite de geler la participation française à l’Union,
serait inapplicable dans le cas contraire. Quelques exemples : Marine Le Pen
souhaite restreindre l’accès des citoyens européens aux droits sociaux,
réinstaurer des contrôles aléatoires aux frontières nationales ou encore réduire
unilatéralement de 5 milliards d’euros par an la contribution française au
budget de l’Union européenne. Toutes ces décisions déclencheraient des
procédures en manquement contre la France, avec un risque de lourdes
sanctions financières et d’isolement politique.


Quant à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), Marine Le
Pen prônait depuis toujours d’en sortir, jusqu’en 2019, lorsqu’elle la caricaturait
en cheval de Troie de l’islam radical. Elle a pondéré sa position en 2020, en
préconisant que les juridictions nationales « cessent de tenir compte des avis » de
la Cour – en réalité, des décisions de justice –, et de s’extraire de certains articles
pour pouvoir renvoyer les étrangers dans des pays où ils risquent la mort – un
« opt-out » non prévu par la Convention. La France rejoindrait alors le club des
Etats qui ne respectent pas les arrêts de Strasbourg, comme l’Azerbaïdjan, la
Turquie ou la Russie.


Lire aussi
Election présidentielle 2022 : l’extrême droite à l’assaut de l’Europe
« Cette mise à distance de l’Europe revient à isoler la France et serait irréalisable,
relève Tania Racho, docteure en droit européen à l’université Paris-II. Il est
impossible de remettre en cause la primauté du droit de l’Union européenne sans
conséquences. La Pologne était sous le coup d’une astreinte d’un million d’euros
par jour pour avoir voulu supprimer la chambre disciplinaire de sa Cour
suprême. » Marine Le Pen se heurte aussi à un obstacle : déroger au traité du
Conseil de l’Europe suppose de sortir de l’Union européenne. Tout pays de l’UE
doit avoir adhéré à la Convention, considérée comme un « acquis
démocratique» ; l’UE reprend tous les droits civils et politiques de la CEDH dans
Conférence de Marine Le Pen sur le chiffrage de son programme présidentiel, à Paris, le 23 mars 2022.
CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »


démocratique » ; l UE reprend tous les droits civils et politiques de la CEDH dans
sa charte des droits fondamentaux. Un « Frexit » de fait, tôt ou tard.


Un nouvel ordre international et l’alliance avec des Etats illibéraux
Marine Le Pen aspire toujours à un nouvel ordre international où la Russie
serait l’alliée privilégiée de la France – ce qu’elle nommait en 2017, depuis
Moscou, le « monde nouveau », incarné par Donald Trump et Vladimir Poutine.


« On attend que la paix revienne », précise son directeur de cabinet, Renaud
Labaye. Marine Le Pen a pressé Thierry Mariani, eurodéputé RN vigoureusement
pro-Kremlin, qui s’est illustré par ses rencontres répétées avec Vladimir Poutine
et Bachar Al-Assad, de se faire discret. « Si vous m’apportez la preuve que Mariani
a un lien avec les services russes, je ne tomberai pas de ma chaise », raille Labaye.
Historiquement défiante envers l’Allemagne, Marine Le Pen acte, dans son
projet de 2022, « un constat d’une profonde et irrémédiable divergence de vues
avec Berlin » et précise que « Paris mettra fin aux coopérations engagées depuis
2017 ». En revanche, elle s’est rapprochée de la Hongrie illibérale de Viktor
Orban, marquée par la chasse aux « lobbys LGBT » et aux ONG d’aide aux
migrants, par des purges dans la magistrature ou de fortes restrictions des
libertés de la presse et de l’université. Elle a été reçue en grande pompe par
Orban à Budapest, en octobre 2021, puis l’a revu en tête-à-tête à Madrid, en
janvier. Après avoir décroché un prêt de 10,7 millions d’euros d’une banque
hongroise, elle a diffusé une vidéo de soutien du dirigeant hongrois lors de sa
« convention présidentielle » de Reims (Marne), le 5 février.


En Europe, Marine Le Pen cultive ses relations, en répétant qu’« on n’est pas
heureux tout seul », avec ses alliés les partis populistes, souverainistes et
d’extrême droite, avec qui elle travaille à constituer un grand groupe au
Parlement européen – Ligue italienne, FPÖ autrichien, SPD tchèque, Parti pour
la liberté néerlandais ou Vlaams Belang belge… « Nationalistes de tous les pays,
unissez-vous ! », proclamait Jean-Marie Le Pen, dans les années 1990, en
reprenant la formule du nationaliste-révolutionnaire François Duprat,
négationniste et ancien numéro deux du FN. Aux européennes de 2019, sa fille
s’affichait avec ses alliés et claironnait le slogan identitaire de « l’Europe
authentique », celle des « nations ».

 

Vers la « démocrature » ?
Nulle démocratie interne au Rassemblement national. Jean-Marie Le Pen
affirmait, en ciblant Bruno Mégret, qu’« il n’y a pas de numéro deux au FN ».
Marine Le Pen, dans la gestion de son parti, reprend la même méthode depuis
2011 : les opposants sont poussés dehors. « Le Front, c’est Marine », avait
coutume de dire l’eurodéputé Gilbert Collard. Florian Philippot, ancien vice président
du FN, suivi de Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, en ont fait
les frais. « Marine Le Pen n’a pas hésité à imposer sa ligne et sa stratégie contre le
courant d’idées auquel j’appartenais, y compris de façon très dure », accusait, en
mars, l’ex-députée de 32 ans. Les proches, ou supposés tels, ont été éloignés des
cercles de décision. Pour Nicolas Bay, le RN « relève plus d’une secte que d’un parti
politique mature ».


Lire l’archive (2020) :
Marine Le Pen fait le ménage au Rassemblement national avant les régionales
Marine Le Pen, sur le marché de Dunkerque (Nord), le 12 mars 2022. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR
« LE MONDE »


Avant de confier le flambeau à Jordan Bardella, Marine Le Pen avait verrouillé
l’appareil : elle avait été réélue à sa tête, au congrès de Perpignan, le 4 juillet 2021,
à 98,3 % des voix – il n’y a pas eu de non, mais 1,6 % de votes blancs ou nuls. Un
mode de fonctionnement aux apparences de démocratie électorale, mais sans
réels débats internes – une « démocrature », grincent ses opposants. Or, sous la
Ve République, le chef de l’Etat concentre entre ses mains à peu près tous les
leviers du pouvoir, reléguant le Parlement, s’il dispose de la majorité, au rôle de
figuration. Un rêve pour Marine Le Pen.


Ivanne Trippenbach
Franck Johannès



13/04/2022
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