1489- La lettre de Laurent JOFFRIN 8 posts

 

On entend fleurir ici et là les mêmes pensées « après la crise il faudra repenser le monde » mais lorsqu ' on approfondit on constate que chaque courant , au lieu de se repenser, creuse un peu plus son propre sillon faisant fi de ses propres contradictions. Oubliant la formule célèbre selon laquelle « toujours plus de la même chose donne ... la même chose »

Ou la pensée confinée
( Laurent Joffrin)

« Les crises aident-elles à réfléchir ? Oui, à coup sûr, si l’on considère la quantité de tribunes et de papiers d’analyse consacrés au coronavirus et à ses effets sociaux, publiés par tout ce que la France compte d’experts et d’intellectuels. On y trouve souvent réflexions pertinentes et vues intelligentes. Pourtant, au risque de se faire mal voir, on ne résiste pas à quelques remarques désagréables sur cette abondante production.

Devant un phénomène inédit, on aurait pu attendre des remises en question, des paradoxes nés d’une réalité surprenante, des interrogations nouvelles. Dans beaucoup de cas, c’est le phénomène inverse qui se manifeste : avec une sérénité inébranlable, beaucoup d’intellectuels ou de politiques voient dans la crise mondiale la confirmation éclatante de ce qu’ils ont toujours dit. On arrive même à un effet comique : les souverainistes enrôlent le coronavirus au service de la souveraineté nécessaire, les européistes au service de l’urgence européenne, les écologistes demandent plus d’écologie, les socialistes plus de socialisme, les radicaux une nouvelle radicalité, les nationalistes plus de nation, les modernes plus de modernité, les anti-modernes un retour en arrière, les réformistes plus de réformes, les conservateurs plus de conservation, etc. Comme si le confinement de la population s’étendait aussi aux doctrines philosophiques ou politiques, chacune enfermée dans ses quatre murs, remâchant ses certitudes. Ce qui débouche évidemment sur quelques déconvenues distrayantes.

Dogmatisme

Marine Le Pen, suivie par nombre d’intellectuels souverainistes, déduit de la pandémie une évidente faillite de l’Europe. Constat en partie vrai – l’Europe bruxelloise n’a guère brillé par son unité ni par son énergie dans la crise – mais donc faux pour l’autre partie. Il est d’abord curieux que des souverainistes puissent déplorer l’absence d’une Europe qu’ils trouvent en temps ordinaire trop présente. Dans l’architecture des traités, les affaires sanitaires sont pour l’essentiel dévolues aux Etats, non à la Commission ni au Parlement. Les souverainistes devraient donc se réjouir de cette souveraineté conservée et non se lamenter devant l’absence d’un pouvoir supranational qu’ils ne cessent de fustiger par ailleurs.

Ils oublient surtout de remarquer que c’est une entité supranationale et non-élue – tout ce qu’ils détestent – la Banque centrale européenne, qui a réagi le plus vite, jetant une nouvelle fois ses dogmes par-dessus les moulins pour dispenser de gigantesques crédits qui ont permis aux Etats nationaux de faire face.

Les pro-européens, dans leur ferveur internationaliste, ont commencé par dénoncer toute tentation de fermeture des frontières, jusqu’au moment où l’Europe elle-même a commencé à bloquer ses frontières extérieures, et certains Etats européens, comme l’Allemagne, à les imiter, sous l’empire de la nécessité. En oubliant que toute règle mérite des exceptions en cas d’urgence, le dogmatisme pro-européen a donc été pris en défaut, autant que le dogmatisme inverse.

Moyens techniques et médicaux modernes

Au milieu de remarques justes, Marcel Gauchet, un de nos meilleurs intellectuels, n’échappe pas toujours au défaut commun. Dans le Figaro, il dénonce un Etat français «impuissant et obèse», antienne libérale qui n’avait guère besoin de son renfort, puisqu’on la lit tous les jours dans le même Figaro. On a fait maigrir «l’Etat régalien», dit-il, et grossir «l’Etat social». Curieuse remarque au moment où l’Etat régalien prend justement des mesures nombreuses et énergiques, allant jusqu’à suspendre radicalement les libertés à grand renfort de moyens policiers. Quant à «l’obésité» de l’Etat social, la remarque ne manque pas de sel quand le même Gauchet déplore quelques lignes plus loin – à encore comme beaucoup de gens – le manque de moyens du système de santé. On critique l’obésité, mais c’est pour demander à cet obèse de grossir encore. Va comprendre, Marcel…

Beaucoup mettent en cause «la mondialisation», qui présente certes beaucoup de défauts, notamment celui de faciliter la circulation du virus en raison de l’intensité des échanges. Mais de là à en faire l’ultima ratio de la crise, il y a un pas de géant qu’on franchit allègrement. Si tel était le cas, les épidémies des temps anciens, quand la mondialisation était moindre, auraient dû être moins néfastes. C’est évidemment le contraire qui est vrai : les épidémies étaient nettement plus meurtrières dans l’ancien temps (sans remonter à la peste noire de 1348, on rappellera le précédent de la «grippe espagnole» de 1918, qui a tué entre 20 et 50 millions de personnes). Tout simplement parce que «la mondialisation» va de pair avec le progrès scientifique et qu’elle a doté d’anciens pays pauvres comme la Chine ou la Corée de moyens techniques et médicaux modernes qui leur permettent de lutter plus efficacement.

Réflexion triviale

Ecrivain talentueux, Sylvain Tesson soupire lui aussi sur la tyrannie des flux, sur l’uniformisation du monde, sur la mystique du mouvement incessant qu’il oppose à la sagesse de ceux qui savent rester chez eux. A vrai dire, «l’uniformisation» dont il parle ne se voit guère dans la crise. Au même virus, les nations opposent des politiques disparates : confinement total en Italie ou en Espagne, confinement d’une seule région en Chine, recours aux tests passifs et à l’intelligence artificielle en Corée du Sud, refus de tout confinement en Suède, etc. De toute évidence, les cultures nationales jouent un grand rôle dans cette diversité. On réagit différemment selon qu’on est une nation catholique, protestante, confucéenne, libérale ou autoritaire. La mondialisation n’uniformise pas les cultures ; elle les met en relation, ce qui est différent.

Quant à la tyrannie des flux, elle débouche sur un réquisitoire contre le tourisme de masse. Mais doit-on reprocher aux populations des pays émergents de vouloir à leur tour découvrir le monde ? Il faut réfléchir aux méfaits du sur-tourisme, certes. Mais doit-on revenir au tourisme aristocratique et bourgeois de l’ancien temps, qui réservait les voyages à une mince élite et les fermait au peuple ? Ah, le bon temps où des ouvriers privés de congés payés qui se contentaient de passer leur samedi dans les guinguettes de Nogent-sur-Marne !

En fait, avec un brio tout littéraire, Tesson disserte longuement sur une réflexion dont l’originalité ne saute pas aux yeux : «C’était mieux avant», dit-il en somme. Avant quand ? Quand les trois quarts de l’humanité vivaient dans une misère noire ? Quand les Etats-nations passaient le plus clair de leur temps à se faire la guerre ? Quand la médecine était impuissante devant la plupart des fléaux microbiens ? On aimerait savoir…

Peut-être faut-il s’en tenir, finalement à une réflexion triviale : avant de tirer des leçons définitives de la crise du coronavirus, attendons qu’elle soit finie »

 

 

 

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27/03/2020
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