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Premier de la classe

Réforme des retraites: pourquoi la CFDT agace

La centrale de Laurent Berger impressionne par ses prises de position déterminées et sa constance. Mais le premier syndicat de France irrite… pour les mêmes raisons. La réforme des retraites en est un nouvel exemple

Kak.
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© KAK

L’Assemblée nationale a commencé lundi l’examen du projet de loi de réforme des retraites, tandis que le député Olivier Véran remplace Agnès Buzyn comme ministre des Solidarités et de la Santé : c’est lui qui devra conduire ce chantier. Le même jour, la grève des transports à l’appel de plusieurs syndicats n’a pas provoqué de grosses perturbations. Ce mardi s’ouvre la conférence de financement qui réunit les syndicats, le patronat et des représentants de l’Etat. Elle doit débattre de l’équilibre financier des régimes de retraite d’ici à 2027 et de la gouvernance du futur système.

La CFDT n’est plus l’interlocuteur privilégié du pouvoir comme elle le fut du temps de François Hollande. Elle est pourtant au centre du jeu au moment où s’ouvre, ce mardi 18 février, la conférence de financement de la réforme des retraites. Et disons-le franco, le premier syndicat de France agace : le patronat, une partie de la majorité, les autres centrales syndicales et… Emmanuel Macron. Cette irritation est ancienne ou récente, conjoncturelle ou plus profonde, mais elle reste discrète : peut-on taper sur la seule organisation de taille capable de faire des propositions, de passer des compromis ?

Celui qui parle le plus clairement, c’est Geoffroy Roux de Bézieux : « Il faut rappeler les choses », lance-t-il le 10 février sur France info. La réforme des retraites, « c’est une loi portée par la CFDT en 2010, elle a demandé ce régime universel par points. » Aujourd’hui, pour le président du Medef, la CFDT veut le beurre et l’argent du beurre, une meilleure prise en compte de la pénibilité, une amélioration du minimum contributif sans poser la question du financement.

Au sein de la macronie, les voix critiques restent anonymes : « Laurent Berger use et abuse de sa position, estime un pilier de la majorité. Il se mêle de ce qui ne le regarde pas en condamnant à l’avance un éventuel recours à l’article 49-3 pour faire adopter le projet, il claque la porte de la négociation sur le deuil des enfants pour nous être désagréable, il ne cesse de critiquer les délais, trop justes à son gré. Il sait que la majorité est divisée et il en joue. »

La CFDT travaille au corps une partie des députés LREM très favorables à ses thèses en leur demandant de défendre des amendements pour améliorer la prise en compte de la pénibilité

La CFDT travaille au corps une partie des députés LREM très favorables à ses thèses en leur demandant de défendre des amendements pour améliorer la prise en compte de la pénibilité. Le gouvernement, lui, veut que le sujet soit traité entre les syndicats, le patronat et l’exécutif, parallèlement à la discussion en séance à l’Assemblée qui a commencé le 17 février.

Négociation dure. Laurent Berger crée le décor d’une négociation dure. Pourtant, sa situation n’est pas commode. Cette réforme, c’est vrai, il l’a voulue. Fidèle en cela à sa ligne d’un réformisme qui déborde le cadre de l’entreprise et de ses salariés, la CFDT veut faire œuvre de justice sociale en revendiquant un régime universel qui concerne aussi les avocats, les dentistes et les petits patrons, etc. Une réforme d’envergure sociétale.

Que la CFDT s’intéresse à ces sujets n’est pas nouveau. Dans une récente interview à la revue L’Hémicycle, son secrétaire général Laurent Berger théorise cette stratégie : « La CFDT est la première force syndicale, aussi, parce qu’elle regarde ce qui influe sur le travail. Cela ne veut pas dire que nous sommes engagés politiquement, cela veut dire que nous nous intéressons à la vie de la cité. » L’actuel patron de la CFDT a une sensibilité particulière sur ces sujets, renouant avec la fibre d’un Edmond Maire, emblématique dirigeant du syndicat de 1971 à 1988.

Parce qu’elle ne remet pas en question l’existence du capitalisme ni celle de la mondialisation, mais veut en réguler les effets, la confédération est écoutée. Parce qu’elle est déterminée et constante, elle impressionne les politiques et le monde patronal ; pour les mêmes raisons, elle peut les irriter. Soit qu’elle soutienne des idées aux effets contestables et contestés comme les 35 heures, soit qu’elle se mêle de sujets très politiques comme l’immigration, la pauvreté, l’Europe ; soit qu’elle prétende intervenir dans la gestion de l’entreprise, par exemple quand elle se bat pour renforcer la présence des salariés dans les conseils d’administration.

Un grand patron objecte : « Le rêve d’autogestion de la CFDT s’est transformé en cogestion, ils veulent associer le capital et le travail. Moi, je dis que c’est le capital qui paie, car c’est lui qui risque. »

Le pic d’agacement se localise à l’Elysée depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Le président de la République est persuadé que les syndicats doivent jouer leur rôle dans l’entreprise, en négociant avec les patrons. Pas au niveau national qui relève de l’exécutif.

Depuis la crise des Gilets jaunes, le Président accorde un peu plus de considération aux corps intermédiaires, et en particulier à la CFDT, sans que la relation devienne vraiment fluide. On aurait pu imaginer que la réforme des retraites, proche de celle demandée par la CFDT, serait l’occasion de mettre un peu plus d’huile dans les rouages. Ce n’est pas vraiment le cas, notamment parce que la question de l’équilibre financier avant l’entrée dans le nouveau régime a été posée et que la CFDT ne voulait pas en entendre parler.

Entre-temps, Berger fait une autre incursion dans la sphère politique : le 5 mars 2019, il lance le Pacte du pouvoir de vivre avec 18 autres organisations, dont la Fondation pour la nature et l’homme, créée par Nicolas Hulot. Les propositions de ce pacte pour conjuguer réponses écologiques et sociales relèvent d’une gauche assez classique avec quelques accents mélénchonistes. En interne à la CFDT, on reconnaît qu’il faut bien faire des compromis.

Ce n’est pas le fond qui surprend, la préoccupation environnementale de la CFDT étant ancienne, mais la forme : interviewé par Le Monde aux côtés de Nicolas Hulot, Laurent Berger ne peut empêcher une lecture très politique de cette initiative. Le chef de l’Etat est énervé de voir le syndicaliste s’afficher avec son ancien ministre de la Transition écologique ; le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, est inquiet : et si Berger se présentait à la prochaine présidentielle ?

Vide politique. Laurent Berger n’a pas l’intention d’être candidat à une élection, il veut prouver que le rapport de force peut aussi se faire à coups de propositions, montrer qu’il y a des forces constructives, mais il devient le héros d’une social-démocratie en panne de leaders. Il occupe un vide politique.

« Ils fonctionnent de manière très directive, y compris avec leurs alliés, ils ont une vraie difficulté à considérer les gens comme des partenaires »

S’il se rapproche des ONG, il ne tente pas de mener une reconstruction syndicale avec les autres organisations réformistes que sont l’Unsa et la CFTC. Des liens existent, mais un rapprochement plus poussé n’est pas à l’ordre du jour. « Macron aurait rêvé que la CFDT fasse sa mue, gagne des parts de marché en fusionnant avec l’Unsa, par exemple », analyse un proche du Président.

Un expert du social décrypte l’attitude de la confédération de Laurent Berger : « Ils fonctionnent de manière très directive, y compris avec leurs alliés, ils ont une vraie difficulté à considérer les gens comme des partenaires. Quand vous êtes la première organisation syndicale, vous devez favoriser les autres, travailler avec eux. »

Facile à dire… Car Berger doit compter avec une maison fière de sa réussite et perméable à l’air ambiant. Oui, le corps cédétiste a voulu le régime universel, mais on ne tombe pas amoureux d’un régime de retraite. Surtout quand on découvre, au fil du temps, l’énorme complexité du chantier, qui n’a pas été anticipée par la CFDT.

Il y a aussi le poids de l’histoire. Celle de 2003 quand François Chérèque, le prédécesseur de Laurent Berger, approuve la réforme du gouvernement Raffarin, provoquant la bronca des militants. Celle, plus récente, de l’accord entre partenaires sociaux, en octobre 2015, qui prévoit une baisse (certes temporaire) des pensions versées par l’Agirc et l’Arrco. Elle crée du ressentiment en interne, pas tellement contre les dirigeants de la confédération, mais sur le fait que la CFDT a dû avaler son chapeau en validant ce compromis.

Montée de l’anti-macronisme. Alors sur cette réforme-ci, Laurent Berger y va à pas de velours. S’il n’y a pas d’opposition structurée comme en 2003, il existe des interrogations diffuses. Il a laissé la CFDT cheminots mener sa vie et n’a pu lui imposer une trêve de la grève pour les fêtes de fin d’année. Par ailleurs, la revendication d’un régime universel semble abstraite à bien des militants. D’où la mise en avant par la confédération de trois thèmes plus parlants : la retraite progressive, la pénibilité, le minimum contributif.

Ajoutons que l’anti-macronisme monte au sein de l’encadrement de la CFDT, hérissé par le traitement dont la centrale fait l’objet depuis le début du quinquennat sur plusieurs sujets : critères de pénibilité abandonnés par le gouvernement, réforme de l’assurance-chômage. Les sympathisants eux-mêmes sont moins enthousiastes : en 2017, ils avaient voté Macron à 48 % au premier tour ; en mai 2019, pour les européennes, ils n’étaient plus que 39 % à choisir la liste LREM.

Pourtant, la CFDT, tout comme l’ensemble des organisations réformistes, a intérêt à trouver les voies d’un compromis. Pour prouver aux syndicats protestataires que la négociation rapporte davantage que la contestation. Un échec donnerait des arguments à un camp du refus qui n’a pas désarmé.



18/02/2020
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