1449- La Revue de presse du bistrot de Marco 92 posts
Liberté chérie
Des marteaux, des pics et un violoncelle. De cette nuit irréelle du 9 novembre 1989, puis de ces journées euphoriques qui ont suivi, nous gardons en mémoire les pics et les marteaux de tous ces jeunes qui s'acharnèrent joyeusement à détruire le Mur ; et l'image aussi d'un musicien russe aux cheveux blancs, Mstislav Rostropovitch, au pied du même Mur, interprétant la sonate n°1 pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach. La jeunesse et la musique sont restées les symboles poignants d'un événement comme il y en a peu dans l'Histoire et qui annonçait l'effondrement irrémédiable des régimes communistes d'Europe.
Pour les témoins de ces jours de joie où pas une seule goutte de sang ne fut versée (spasiba Gorbatchev !), nul doute qu'un avenir radieux s'ouvrait aux peuples de notre vieux continent. La disparition de l'«utopie communiste» – cette société sans classe, égalitaire et supposée fraternelle – signifiait concrètement pour des millions d'Européens la fin de leur oppression, la disparition des polices politiques et des sinistres goulags. La liberté, enfin ! La liberté chérie ! Et l'espoir aussi d'une prospérité à portée de main avec le triomphe sans partage du capitalisme. Vivions-nous alors, comme certains impatients l'ont écrit, la fin de l'Histoire ? Des fous ou des naïfs en ont rêvé.
Dans son ivresse communicative, l'économie de marché puis ce qu'on appela la « mondialisation heureuse » devaient hélas oublier les égards dûs aux plus faibles. Les Allemands de l'Est, passé les premiers mois de l'après-Mur, allaient connaître les revers de leur bonheur : fermetures d'usines, chômage de masse, précarité. Les anciens «assistés» du communisme ne pouvaient pas troquer leur Trabant pour une Mercedes. De quoi nourrir une immense frustration, le sentiment amer que, malgré la liberté formelle qu'on leur avait accordée, ils étaient les perdants de l'histoire, les dindons de la démocratie.
Comme une réaction perverse, c'est dans cette Allemagne anciennement communiste que, désormais, l'extrème-droite la plus extrême, néonazis et consorts, réalise des scores inquiétants. C'est dans cette Europe de l'Est jadis soumise à la dictature de Moscou que des régimes autoritaires pavoisent à Varsovie ou Budapest. C'est sur ce vieux continent, qui va de l'Atlantique à l'Oural et où naquit autrefois l'idée de la démocratie, que nous assistons, sidérés, à sa remise en cause – et au prurit du populisme fascisant. L'Histoire de l'Allemagne aurait pourtant dû nous apprendre que les peuples ont parfois la mémoire courte.
