Il faudra bien, un jour prochain, payer l'addition. En finir, un jour prochain, avec ces samedis de totale liberté où, sous prétexte qu'on porte un gilet jaune, qu'on appartient à la classe des déclassés, à l'ultradroite ou à l'amicale des anars, il serait permis de casser la vitrine du commerçant, puis, au passage, et à condition d'être en surnombre, de rosser les cognes. Il faudra bien, un jour prochain, que cesse ce qu'on pourrait appeler la révolte des ronds-points, ou, disons-le, ce grand bordel des fins de semaine.
Pour chaleureux qu'aient été les premiers barrages de ronds-points, sympathiques les premiers Gilets jaunes que nous y avons rencontrés, pour justifiée qu'ait été une bonne part de leurs revendications, celles notamment sur le pouvoir d'achat en berne des classes moyennes et populaires, il y a comme une exaspération qui monte, le début d'un nouveau ras-le-bol, antijaune celui-là. Tout simplement parce que, si le gouvernement connaît l'usure du « dégagisme », il en est de même de ces révoltés forts en gueule qui nous rabâchent à longueur de BFM une même révolte.
Plusieurs raisons expliquent ce qui n'est pas encore un revirement de l'opinion mais pourrait bientôt y ressembler. Au bout de cinq semaines, au fur et à mesure que la mobilisation des Gilets jaunes diminue en quantité, nous assistons à une radicalisation des derniers protestataires, comme si, désormais, l'essentiel était la destruction de tout ce qui représente, concrètement ou symboliquement, notre République. La violence physique qui s'ajoute à la brutalité des slogans nous fait même craindre le pire. « L'effet de groupe » n'excuse pas tout, et notamment les images de motards de la police cernés par des énergumènes prêts au lynchage. En Russie, aux États-Unis ou au Venezuela, les policiers auraient vraiment tiré. En République française, il est heureux que nos flics aient un peu de sang-froid.
De même, ces énergumènes en jaune entonnant la triste « Quenelle » antisémite de Dieudonné, et braillant, bras tendu, leur fascisme de pochtrons. Un peu plus loin, une vieille dame qui se déclarait juive, s'est vue hurler au visage : « Dégage, la vieille » – et même pire…
Ailleurs, un pantin dont la tête représentait Emmanuel Macron a été décapité. Quoiqu'on pense d'un Président – et on peut dénoncer vertement sa politique –, voilà une posture perverse comme si le jaune virait au rouge-brun, comme si la détestation antirépublicaine virait au Ruffin-Marine.
Les quelque 3 milliards d'euros perdus dans le désordre de ces dernières semaines ne sont pas une vue de l'esprit, une figure de style que le grand patronat utiliserait pour effrayer le bourgeois.
C'est une dure réalité pour le petit commerçant, pour l'artisan laborieux, celui qui pendant les semaines de Noël ne demandait rien d'autre que de travailler un peu plus que d'habitude – un luxe de gros capitaliste ?