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"Nous faisons le choix du travail" : Edouard Philippe dévoile les grandes lignes du budget de 2019

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Le Premier ministre dévoile les clés du budget 2019. Il assume le risque d’une perte de pouvoir d’achat pour les retraités et les familles et revendique de privilégier la rémunération de l’activité par rapport aux aides sociales.

Edouard Philippe à Matignon vendredi après-midi.
                         Edouard Philippe à Matignon vendredi après-midi. (Bernard Bisson pour le JDD)

C'est un Premier ­ministre bronzé et souriant qui reçoit le JDD, vendredi après-midi dans son bureau de l'hôtel de Matignon. Ses vacances italiennes à peine finies, les dossiers s'y ­empilent déjà – ainsi que les confiseries multicolores dont ses proches trouvent qu'il abuse un peu. Si ses mains tremblent toujours légèrement, on le sent plus pressé que stressé : les derniers arbitrages rendus avec Emmanuel Macron (mercredi, il s'est longuement attardé à l'Elysée après le Conseil des ministres), la bataille du budget va commencer. Edouard Philippe s'y engage avec des propositions chocs, dont il livre ici l'essentiel.

Votre projet de budget de l'Etat pour 2019 est-il prêt? Nous entrons dans la phase des derniers arbitrages. Le projet de loi de finances sera présenté à la fin du mois de septembre. Ce sera un budget de transformation et de cohérence, qui respectera les engagements du président de la République. Pour produire ses effets, une politique exige de la durée, donc de la constance.

Il faut néanmoins s'adapter aux circonstances. Vous tabliez sur une croissance de 1,9% pour 2019, qui semble désormais trop optimiste. Allez-vous vous la réviser? La prévision de croissance sur laquelle nous bâtirons ce budget sera de 1,7%. Mais je suis toujours prudent avec les prévisions. Quand nous avons élaboré le budget de l'an dernier, nous tablions sur 1,7% pour 2018 et 2019. On nous a critiqués parce que nous étions trop prudents! Aujourd'hui, on revient à ce chiffre. Comme quoi, les prédictions c'est important, mais ce qui compte, c'est la politique qui est menée. Nous gardons le cap et nous maintenons le rythme.

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Si la croissance ralentit, il y aura forcément un impact. Mais ça ne nous empêchera pas d'être dans la ligne de nos engagements

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Tiendrez-vous votre objectif de ramener le déficit public à 2,3%? Nous gérons sérieusement les finances du pays. Il va y avoir, en 2019, un rebond du déficit parce que, comme nous l'avons annoncé, nous transformons le CICE en allégements de charges pérennes – pour les entreprises, c'est un transfert de trésorerie qui doit être utilisé pour leur compétitivité, donc pour l'emploi et l'investissement. Si la croissance ralentit, il y aura forcément un impact. Mais ça ne nous empêchera pas d'être dans la ligne de nos engagements, sur la baisse des prélèvements obligatoires comme sur la maîtrise de la dépense publique et de la dette.

Justement, quelles dépenses comptez-vous réduire en 2019? Nous allons poursuivre l'action engagée : nous voulons transformer l'action publique en diminuant le financement des politiques qui ne sont pas efficaces, par exemple sur le logement ou les contrats aidés, dont la plupart ne permettent pas d'obtenir ensuite un emploi viable. Mais nous tenons aussi d'autres ­engagements, qui seront visibles pour les Français d'ici à la fin de l'année : la suppression progressive de la taxe d'habitation, la suppression complète des cotisations salariales chômage et maladie, qui va entraîner un gain de pouvoir d'achat pour les actifs. J'ajoute que, dès le 1er septembre 2019, les cotisations salariales sur les heures supplémentaires seront supprimées pour tous les salariés, dans le privé comme dans le public. Pour une personne payée au smic, cette mesure représentera en moyenne plus de 200 euros supplémentaires par an.

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Aucune prestation sociale ne sera réduite

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Cette promesse d'Emmanuel Macron semblait programmée pour 2020. Pourquoi accélérer? Parce que c'est par l'activité que notre pays prospérera. Nous voulons que les Français puissent revenir vers le travail, que ce travail paie, et qu'il paie de mieux en mieux. C'est le sens de notre action.

Cela signifie-t-il que vous allez réduire des prestations sociales? Aucune prestation sociale ne sera réduite.

Sinon réduites, gelées? Non plus. Les prestations qui bénéficient à nos concitoyens les plus fragiles, comme le RSA, seront augmentées conformément à la loi. Certaines le seront même très significativement : la prime d'activité, le minimum vieillesse, l'allocation pour les adultes handicapés. D'autres prestations progresseront de façon plus modérée, de 0,3% par an en 2019 et en 2020 : l'aide personnalisée au logement, les allocations familiales, les pensions de retraite.

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Nous développons de nouvelles protections sociales, comme le plan pauvreté ou le reste à charge zéro

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En clair, vous rompez avec l'indexation de ces prestations sur l'inflation. Comme l'inflation redémarre, les bénéficiaires vont perdre du pouvoir d'achat… Vous l'assumez? Nous assumons une politique de transformation et de maîtrise des dépenses qui privilégie, je le redis, la rémunération de l'activité et qui rompt avec l'augmentation indifférenciée des allocations. C'est par le retour à l'activité et une meilleure rémunération du travail que notre pays sera plus prospère. Les efforts que nous faisons par ailleurs, notamment la suppression progressive de la taxe d'habitation, doivent compenser l'impact sur le pouvoir d'achat. Et nous développons de nouvelles protections sociales, comme le plan pauvreté ou le reste à charge zéro sur les lunettes, les prothèses dentaires et les appareils auditifs. C'est tout ça, libérer et protéger.

Laurent Wauquiez vous reproche pourtant (dans Le Figaro d'hier) "la plus forte baisse du pouvoir d'achat depuis six ans". Il a tort? Je savais qu'il s'était fâché avec beaucoup de monde, je constate qu'il est aussi fâché avec les chiffres. La baisse de la taxe d'habitation, c'est 10 milliards d'euros rendus aux Français d'ici à 2020. La baisse des cotisations sociales, c'est 7 milliards rendus chaque année à ceux qui travaillent – la plus forte mesure de pouvoir d'achat depuis dix ans ! La revalorisation des heures supplémentaires, ce sera 2 milliards supplémentaires. Si on regarde les mesures mises en œuvre sur toute l'année 2018, y compris en intégrant l'impact des hausses de taxe sur le diesel qui répondent à des impératifs écologique et de santé publique, l'augmentation du pouvoir d'achat dépasse 250 euros par an pour un salarié au smic.

Réduirez-vous le nombre de fonctionnaires? Pour la fonction publique d'Etat, nous tiendrons l'objectif du président de la République de supprimer 50.000 postes à l'horizon 2022. En 2019, nous prévoyons environ 4.500 suppressions de postes. 

C'était 1.600 postes cette année ; vous êtes loin des 50.000… C'est parce que je ne crois pas à la politique du rabot. Notre méthode privilégie une transformation de l'action publique en profondeur et le développement du numérique, des économies à long terme et une amélioration du service public. La réduction du nombre de fonctionnaires n'est pas le fondement mais la conséquence d'une transformation de l'action publique qui monte en puissance au fil du temps. Je peux déjà vous dire qu'en 2020 le chiffre sera supérieur à 10.000.

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Il y aura des recrutements : 2.000 agents supplémentaires dans la police, la gendarmerie et à la DGSI, 1.300 à la justice

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Ces postes, où allez-vous les supprimer? Nous avons annoncé des réorganisations au ministère des Finances, dans l'audiovisuel public, dans le réseau extérieur de l'Etat. Mais il y aura par ailleurs des recrutements : 2.000 agents supplémentaires dans la police, la gendarmerie et à la DGSI, 1.300 à la justice – parce qu'il s'agit de priorités.

La transformation de l'action publique que vous évoquez induit-elle de poursuivre la réduction des emplois aidés? Oui. Mais nous engageons dans le même temps un effort inégalé pour la formation de ceux qui en ont le plus besoin. Le chômage baisse – il était à 9,6% il y a un an, il est à 9,1% aujourd'hui –, les créations d'emploi ont repris et pourtant, dans l'industrie, les services, la restauration ou l'agriculture, il y a des difficultés de recrutement. Les employeurs ne trouvent pas la main-d'œuvre dont ils ont besoin. Il y a là un problème de compétences auquel il faut remédier en investissant massivement dans la formation ; et sans doute un problème d'appétence : il faut faire en sorte qu'à tout moment le travail paie et que l'on fasse toujours le choix du travail.

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Pour stimuler cette "appétence" au travail, faut-il réduire l'indemnisation du chômage? Je recevrai à partir de mercredi [avec Muriel Pénicaud et Agnès Buzyn] les partenaires sociaux. Ce qui est à l'ordre du jour – comme le président de la République le leur a dit en juillet –, c'est la nécessité de parvenir à des avancées majeures dans deux domaines : la santé au travail et l'assurance chômage. Nous voulons profiter de la situation actuelle, où l'emploi est en train de repartir, pour corriger les mécanismes qui ne fonctionnent pas bien, comme ceux qui encouragent la multiplication des contrats courts. La question de la dégressivité des allocations chômage a été posée par le député [LREM] Aurélien Taché. Nous pouvons en discuter, nous n'aurons ni tabous ni présupposés. Je suis déterminé à avoir avec les partenaires sociaux une discussion sur la meilleure façon d'établir un système financièrement équilibré qui garantisse la justice ­sociale et favorise le retour à l'emploi. Partout où il y a des mécanismes qui n'incitent pas à retrouver rapidement un emploi, il faudra agir. Je dis bien partout.

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L'objectif est de faire en sorte qu'à l'arrivée chaque euro cotisé donne les mêmes droits à tous les Français

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Les entreprises devront-elles prendre en charge les arrêts maladie de leurs salariés, comme cela a été évoqué? L'enjeu des arrêts maladie est considérable. Chaque année, un peu plus de 10 milliards d'euros sont consacrés à l'indemnisation des salariés arrêtés, et ce volume progresse de plus de 4% par an. En trois ans, le nombre de journées indemnisées est passé de 11 à 12 par an et par salarié du privé. C'est comme si notre pays avait instauré un jour de congé supplémentaire! La part de nos ­dépenses de santé couvrant les arrêts maladie est donc de plus en plus importante, ce qui veut dire qu'on a moins d'argent pour le ­financement des hôpitaux ou de nouveaux traitements. Tous les acteurs du système doivent se mettre autour de la table pour trouver les moyens de contenir cette progression. Donc il ne s'agit pas de renvoyer vers tel ou tel le coût de ces indemnisations – les entreprises pas plus que d'autres. C'est ensemble qu'il faut résoudre le problème. Mais je veux dire à tous que cela ne peut pas durer.

Le patronat hurle d'avance contre cette éventualité. Il a donc tort de s'inquiéter? J'écarte l'hypothèse d'une mesure brutale de transfert vers les entreprises, c'est clair. Notre politique vise à augmenter la croissance et à favoriser le retour à l'emploi. Nous avons pris beaucoup de mesures pour stimuler l'activité des entreprises et l'investissement; on ne va pas envoyer de contre-message. Mais je le répète, il faut trouver une solution pour contenir ces dépenses.

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La réforme des retraites que vous préparez annonce-t-elle la fin des régimes spéciaux? Nous avons défini un calendrier et une méthode : une première phase de discussion a été engagée par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye­. Il y en aura une deuxième, et un projet de loi sera présenté dans le courant de 2019. L'objectif est de faire en sorte qu'à l'arrivée – et ce sera forcément très progressif – chaque euro cotisé donne les mêmes droits à tous les Français. 

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La révision constitutionnelle sera présentée dès que possible

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Jean-Luc Mélenchon assure que votre réforme déclenchera la "mère des batailles" contre votre gouvernement. Redoutez-vous une nouvelle mobilisation sociale? Sur tous les sujets, il y a chez Jean-Luc Mélenchon une volonté de revanche personnelle sur l'élection présidentielle. La question des ­retraites est essentielle pour l'avenir du pays, elle doit faire l'objet d'un grand débat – celui que nous lançons. C'est plus important que le positionnement politique, les ambitions ou le ressentiment de tel ou tel.

L'affaire Benalla vous a obligé à repousser la révision constitutionnelle; du coup, un embouteillage s'annonce au Parlement avec la loi Pacte sur la croissance et les entreprises. A quel texte donnerez-vous la priorité? Nous allons examiner d'abord la loi Pacte à partir de la fin septembre, car nous voulons concentrer en cette rentrée notre action sur les chantiers économiques. La révision constitutionnelle sera présentée dès que possible au cours de la session ordinaire. C'est un décalage de quelques mois tout au plus.

Sentez-vous encore une inquiétude autour de la mise en œuvre du prélèvement à la source, prévu pour le 1er janvier? Il faut faire les réformes quand on les croit bonnes pour le pays. Mais je suis attentif : nous avons décidé de reporter en 2017 d'un an cette réforme parce que nous voulions être sûrs qu'elle serait mise en œuvre dans de bonnes conditions. Nous ferons le point sur la préparation de cette réforme dans les prochaines semaines.

 


26/08/2018
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