La division par deux du nombre d’emplois aidés ? Les élus locaux l’ont toujours en travers de la gorge. "Décision scandaleuse", "recul inacceptable", "maltraitance", et même "alerte rouge", selon les termes très énervés de François Baroin, le président de l’Association des maires de France. Fichtre ! Les édiles auraient-ils enfin décidé de mouiller le maillot pour les jeunes sans qualification et les personnes en grande difficulté, que le dispositif écorné par Emmanuel Macron est censé réinsérer ? Ne rêvons pas. En réalité, c’est à eux-mêmes que les maires et les patrons de département pensent lorsqu’ils exigent le maintien des petits jobs.

Ce système, à l’efficacité d’ailleurs relative – pas même 30% de ses anciens bénéficiaires dans le secteur non marchand ont décroché un emploi six mois après la fin de leur contrat –, leur profite en effet énormément. Fin 2016, les collectivités locales employaient pas loin de 100.000 personnes en "contrats d’accompagnement dans l’emploi", destinés aux titulaires de minima sociaux et aux personnes en échec sur le marché du travail, deux fois plus qu’en 2012. S’y ajoutaient plusieurs dizaines de milliers de jeunes de moins de 25 ans embauchés en contrats d’avenir (ou selon d’autres formules approchantes) dans les associations satellites qui s’occupent de culture, de soutien aux personnes âgées ou encore d’encadrement des élèves de primaire pour le compte des collectivités. Au total, ces petits jobs représentaient plus de 7% des effectifs locaux.

 

Salaires pris en charge par l'Etat

Pour les villes et les départements, ces contingents de travailleurs, qui oeuvrent de 20 à 35 heures par semaine, sont une véritable bénédiction. C’est en effet l’Etat qui prend à sa charge l’essentiel de leur rémunération (jusqu’à 75% du Smic), les collectivités se contentant de financer un petit complément. Combien, au juste, nos élus locaux parviennent-ils à grappiller dans l’affaire ? Personne, y compris à Matignon, ne semble l’avoir calculé précisément ou ne veut le révéler. Mais, selon nos estimations, la part de salaire supportée par l’Etat dépasse 600 millions d’euros par an pour les seuls contrats d’accompagnement dans l’emploi. Avec les contrats jeunes, l’addition approche probablement le milliard d’euros. On comprend que les élus ne veuillent pas renoncer à cette manne.

Passe encore si, comme cela devrait être le cas, ils cantonnaient leurs employés en contrats aidés sur des postes à basse productivité, en prenant du temps pour leur assurer une formation et leur apporter un soutien. Mais on en est loin. "Beaucoup de collectivités ont eu tendance à profiter d’un effet d’aubaine, rapporte Eric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Elles ont recruté au rabais, mais sur de vrais postes." Entendez sur des emplois classiques, qui devraient normalement être occupés par des fonctionnaires ou par des contractuels à plein temps. Un exemple parlant ? A Bruay-la-Buissière, une commune de 22.000 habitants située dans le Pas-de-Calais, dix-sept des trente agents du service propreté étaient, jusqu’en août dernier, en contrats aidés à 680 euros par mois – payés à 70% par l’Etat – pour 20 heures de travail hebdomadaire. Franche du collier, la mairie ne se cache même pas de piller l’Etat comme dans un bois. "Une commune pauvre comme la nôtre n’a pas les moyens de faire autrement", se défend-elle.

 

Des élus locaux "poussés à la consommation"

Quelle part des dispositifs d’aide aux chômeurs est-elle ainsi détournée par les élus locaux de l’Hexagone ? Là encore, difficile de le savoir, puisque même la Dares, le service statistiques du ministère du Travail, ignore les fonctions confiées au personnel en contrat aidé dans les collectivités locales. N’empêche que les élus, toutes couleurs politiques confondues, semblent gênés aux entournures quand on évoque la question. La plupart des municipalités contactées par Capital à ce sujet n’ont d’ailleurs pas donné suite. "Chez nous, la moitié du personnel employé aux jardins et une partie des services généraux, soit une vingtaine de personnes au total, sont des contrats aidés, témoigne néanmoins, sous couvert d’anonymat, un fonctionnaire municipal d’une ville du bassin minier du Nord. C’est vrai que ce n’est pas normal, mais ça nous permet de faire énormément d’économies budgétaires."

 

De plus en plus de contrats aidés dans la fonction publique territoriale :

Le dispositif a doublé de volume en quatre ans. Sources : INSEE, IFRAP.

À la décharge des élus locaux, il faut reconnaître que les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, les ont "poussés à la consommation" sous prétexte de traitement social du chômage. "Dans les deux dernières années du mandat de François Hollande, on recevait un coup de fil de la préfecture pratiquement tous les mois pour qu’on prenne des contrats aidés, et cela s’est accéléré avant l’élection présidentielle", témoigne un secrétaire de mairie de l’ouest de la France. Difficile dans ces conditions de résister à la tentation…

 

 

Mais, désormais, les choses sont en train de changer. Ainsi, lorsque les élus de Frontignan, une commune de 25.000 habitants, proche de Montpellier, ont rué dans les brancards après avoir appris que leurs 88 contrats aidés employés dans les écoles, les centres aérés ou l’entretien des locaux étaient menacés, le préfet de l’Hérault a été très clair. "Les contrats aidés, qui représentent 20% de l’ensemble des effectifs de Frontignan, n’ont pas vocation à remplir des tâches de fonctionnaires titulaires !", s’est-il exclamé tout de go. En faisant remarquer que la ville de Montpellier, elle, a toujours refusé de succomber à cette dérive, et qu’on ne s’y porte pas plus mal. Transmis à nos édiles, avec les salutations d’Emmanuel Macron.

 

 

Marc Baldy et Raphaël Enthoven ont partagé un lien.