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Drogue, Islam, précarité… L’immersion d’un anthropologue au Mirail, à Toulouse

L'Observatoire régional de la santé a publié en décembre 2017 l'enquête d'un anthropologue concernant le Mirail, à Toulouse. Drogue, Islam, précarité... Ce qu'il faut retenir. 

 

Pour la grande majorité des habitants du quartier rencontrés, les dealers sont à l’origine du poids du stigmate qui pèse sur le Mirail.

 

L’enquête fait froid dans le dos. Trafic de drogue, Islam rigoriste, règlements de comptes… Si l’anthropologue Guillaume Sudérie, à l’origine de cette « immersion » dans le quartier le plus pauvre de Toulouse, se refuse à toute stigmatisation, les résultats de son étude ne risquent pas de redorer l’image du Mirail. Quelque 32 000 habitants L’enquête s’est déroulée au second semestre de l’année 2016 sur l’ensemble des quartiers du Grand Mirail : Bagatelle, Reynerie, La Faourette, Bellefontaine, Papus, Tabar et Bordelongue. Intitulée « Les conduites addictives dans le Grand Mirail », l’étude a été publiée en décembre 2017 par l’Observatoire régional de la Santé dont Guillaume Sudérie est le directeur adjoint.

 

L’anthropologue a collecté le point de vue des habitants au fil des rencontres dans la rue, dans les cafés et au domicile de certains. Le quartier du Grand Mirail compte 32 000 âmes. En terme de nombre d’habitants, ce territoire se situe entre la ville de Blagnac (23 000 habitants) et celle de Colomiers (38 000 habitants). Sa population se distingue par un taux de chômage important et une forte précarité financière. La part des 15 ans ou plus sans diplôme y est très élevée. » 

 

Voici les 5 points à retenir de cette enquête ethnographique 

 

1. Un trafic de drogue… banalisé « Le Grand Mirail est le principal lieu d’organisation des trafics et de diffusion du cannabis sur la ville de Toulouse », rappelle Guillaume Sudérie dans son étude. Il décrit des règlements de comptes sur fond d’escroquerie, de crédit non remboursé ou de prise de territoire. » 

 

Mais l’anthropologue de l’Observatoire régional de la Santé ne se contente pas d’enfoncer une porte ouverte. Dans son enquête, il décrit l’organisation du trafic des produits stupéfiants : “ Dans les années 80 et 90, les quartiers du Mirail, comme la majorité des quartiers populaires, étaient des lieux de trafic et de consommation d’héroïne. Cette période a profondément évolué au milieu des années 90 avec l’arrivée des traitements de substitution aux opiacés, l’explosion des consommations de cannabis, la montée de la polyconsommation et plus récemment l’arrivée importante de la cocaïne. Le Grand Mirail, et plus particulièrement celui de Bellefontaine, est repéré pour être un lieu de vente de cocaïne. L’anthropologue évoque des ventes à 20 euros de « pochons » contenant approximativement 0,2 ou 0,3 gramme permettant à des personnes pauvres d’accéder à un peu de cocaïne. « Des riverains se plaignent de trouver de plus en plus de seringues ces derniers temps », écrit-il. « Un phénomène qui concerne la société toulousaine » Pour autant, à la différence du cannabis où le Mirail a un « monopole » de l’importation et de la vente, ces lieux de vente de cocaïne auraient peu de poids dans le marché global de la cocaïne à Toulouse. Guillaume Sudérie rappelle que le trafic de produits stupéfiants ne concerne qu’une part infime des 32 000 habitants du Grand Mirail. Il cite le témoignage d’un officier de police judiciaire : “ Cela représente 100 à 150 personnes grand maximum.

 

Pour l’auteur de l’enquête, la question du trafic de produits stupéfiants « n’est pas une problématique des quartiers mais un phénomène qui concerne la société toulousaine ». Or le Mirail est « le quartier le plus pauvre de la métropole », souligne Guillaume Sudérie. Les réseaux en profitent. Ils proposent aux habitants, dans un premier temps, d’apurer leurs dettes… Quelques semaines plus tard, ils imposent à ces personnes en dette vis-à-vis d’eux de stocker plusieurs kilos de cannabis. « Une situation d’impunité »

 

De manière générale, le directeur adjoint de l’Observatoire régional de la Santé dénonce un contexte banalisation de l’usage et de la vente de cannabis dans lequel grandissent un certain nombre de jeunes enfants. Cela rend « normal » à l’adolescence de faire le « guetteur » surtout pour 50 euros par jour : “ À la sortie du métro, dans la rue, dans certains commerces, au café…la consommation de cannabis est visible et peu dissimulée. » 

La forte accessibilité à ce produit a aussi un effet très important sur les trajectoires de fumeurs, notamment l’initiation précoce de certaines jeunes de 11 ou 12 ans : “ Un début de consommation réalisé plus ou moins à crédit générant des dettes et contraignant ces jeunes à s’impliquer dans le trafic. Les habitants et les commerçants décrivent une situation d’impunité du trafic et de ses manifestations dans l’espace public. Cette impunité est perçue comme un abandon des services publics, et particulièrement des forces de police.

L’enquête conclut d’ailleurs de manière pessimiste dans son enquête : “ Le démantèlement de ces réseaux n’est pas chose simple et est peu probable dans un calendrier à court terme."

 

2. Le tabou autour de l’alcool « Un des éléments les plus surprenants lors des premiers terrains ethnographiques pour un observateur provenant d’un lieu et d’une culture différente », écrit Guillaume Sudérie, « c’est l’absence quasi-systématique de la vente d’alcool au sein des débits de boissons du Grand Mirail. À Bellefontaine, par exemple, impossible de boire une bière en terrasse ». Une situation paradoxale alors que le trafic et la consommation de cannabis sont extrêmement visibles dans le quartier. L’alcool, lui, est « invisible ». Les raisons de cette prohibition semblent « en lien étroit avec la prédominance de la culture musulmane », analyse l’anthropologue. Et de citer plusieurs témoignages d’habitants : « Ici, l’alcool, c’est tabou. C’est le mal ». Par conséquent, les consommations d’alcool des jeunes sont décrites comme « cachées ». D’ailleurs, les services de police en charge de l’analyse des alcoolémies routières constatent que le nombre de personnes ayant un taux d’alcoolémie positif provenant de ces quartiers est important. »

 

3. Un quartier touché par la précarité L’enquête insiste aussi sur l’absence de mixité, en particulier à l’école. Guillaume Sudérie cite le témoignage d’une habitante de la Reynerie : “ Sur 130 élèves, je pense qu’ils sont cinq max, d’origine française… Sans parler de la stratégie d’évitement. L’anthropologue souligne que le placement dans des écoles privées des enfants de parents au statut social favorisé est décrit par de nombreux habitants, parents et intervenants au sein de l’Éducation nationale. Et de reprendre ce témoignage : “ C’est rigolo, parce que tu vois plein de musulmans aller dans les écoles catholiques, mais parce qu’ils se disent que ça va être plus sérieux… » 

 

4. Une stigmatisation « Quand vous êtes six, sept ou huit jeunes maghrébins Place du Capitole, tout le monde vous regarde de travers. Le contrôle de papiers, des trucs comme ça, c’est tout le temps, donc ici les gars, ils restent dans le quartier et comme dans le quartier il y a rien, t’as la sensation qu’ils traînent », raconte un jeune trentenaire cité dans l’enquête. Guillaume Sudérie rappelle que « venir du Grand Mirail, du 31100, sur un CV, ça pose problème ». L’enquête n’élude pas non plus la question des modes d’intervention de la police « perçus comme persécuteurs par la quasi-totalité des personnes interrogées vivant au sein du quartier ». « Les dealers sont à l’origine du stigmate qui pèse sur eux » Mais pour la grande majorité des habitants du quartier rencontrés par l’anthropologue, les dealers sont à l’origine du stigmate qui pèse sur eux. De nombreux habitants du quartier ont le sentiment d’être perçus comme des parents démissionnaires qui ne s’occupent pas de leurs gamins qui traînent, qui deviennent des délinquants, et qui profitent des allocations familiales. Mais ces parents sont « mis à mal par la précarité et le poids du trafic ».

 

«Comment expliquer à un gamin de huit ans qui a 500 euros dans la poche en liquide, qu’il faut travailler à l’école… », témoigne encore un habitant. Selon Guillaume Sudérie, pas de doute, l’image négative du quartier est clairement attribuée à une part des habitants qui portent la responsabilité d’une stigmatisation qui rejaillit sur tous.

 

5. Une approche rigoriste de l’Islam Enfin, l’auteur de l’enquête note une augmentation des signes de la religion musulmane dans différentes sphères de l’espace public : “ L’action sociale est mise à mal par les trafics de drogues, certes, mais aussi par la montée d’une ligne dure de la pratique de l’Islam prônant une approche cultuelle rigoriste. Selon Guillaume Sudérie, les habitants « sont les victimes de cette représentation globale de leur quartier engendrant un repli sur soi et des constructions identitaires communautaires ».

 

Hugues-Olivier Dumez Actu Toulouse



14/01/2018
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