« Avoir 75 ans aujourd’hui n’est pas drôle non plus »

Cette crise du covid a rappelé tout le poids du grand âge dans notre pays. Or, la dépendance s’annonce
comme la prochaine urgence. Interview de l’ancienne ministre en charge de l’Autonomie, Michèle Delaunay
Jefferson Desport Sud-ouest

S-O Avec la menace d’un nouveau confinement,
la question s’est posée de savoir
s’il fallait « sacrifier » toute la population,
dont les plus jeunes, pour préserver
les plus âgés. Comment avez-vu vécu ce
débat ?

Michèle Delaunay ancienne ministre:
La fatigue épidémiologique,
toutes les générations l’ont perçue.
Oui, ce n’est pas drôle d’avoir
17 ou 18 ans en ce moment,
mais en avoir 75 ou 80 ne l’est pas
non plus… Depuis un an, j’ai proposé
aux âgés de se confiner ,
parce que nous avions la responsabilité
de ne pas mourir et de ne
pas encombrer les hôpitaux.
Mais aujourd’hui, avec le vaccin,
je ne dis plus ça. Car une personne
âgée confinée, c’est quelqu’un
qui va s’affaiblir et entrer
en dépression. Toutefois, il ne
faut pas provoquer une troisième
vague. Et cette responsabilité
est entre les mains de tous
et de tous les âges. Or, quand je
vois les quais de Bordeaux bondés,
avec plus de cigarettes que
de masques, je m’interroge.
La campagne de vaccination a débuté
par les plus âgés et les plus fragiles. Les
plus jeunes passeront après. Là aussi, cela
a pu susciter de l’incompréhension…
Ce sont les personnes âgées qui
développent les formes les plus
graves du covid. Tous ceux qui
ont plus de 70 ans ont de très
gros risques. Il ne faut pas saturer
les hôpitaux pour que le
jeune homme de 30 ans qui a
une leucémie puisse être traité.
Il faut connaître ce qu’est la mort
par le covid, c’est une mort par
asphyxie, c’est terrible.

Emmanuel Macron estime qu’il faut tenir
encore « 4 à 6 semaines » avant
d’espérer voir l’étau sanitaire se desserrer.
Partagez-vous son optimisme ?
Comment le sait il ? Sûrement
les voix du seigneur... Il ne peut
pas l’affirmer. Tout comme on ne
peut pas dire aux restaurateurs
qu’en juillet, on lèvera toutes les
barrières. L’évolution de l’épidémie
dépend de l’attitude des Français et du virus.

Au-delà, cette crise a aussi rappelé le
poids des âgés dans notre pays. C’est
une prise de conscience tardive ?
Lorsque j’étais ministre, j’ai été
chargée de faire la loi sur le
grand âge. Elle reposait sur deux
piliers. Mais nous n’avons pu
faire que le premier avec notamment
des mesures pour le maintien
à domicile, le droit au répit
des aidants et une augmentation
significative de l’APA. Mais le
remaniement du gouvernement
est intervenu le jour où je
devais présenter ce texte en
conseil des ministres. Le
deuxième acte, lui, n’a toujours
pas été fait. Et il portait précisément
sur les établissements d’hébergement

pour les personnes âgées dépendantes.

Si François Hollande l’avait fait, c’eut été

le totem social de son quinquennat.

Vous n’avez pas réussi à le convaincre ?
C’est d’abord, le Premier ministre
Jean-Marc Ayrault qui a été
le moteur de cette loi. Avant le remaniement,
il m’avait prévenu
qu’on ne ferait pas l’acte 2 du
texte. François Hollande m’avait
expliqué que sa priorité c’était la
jeunesse. Je lui a vais répondu
que si tous les Français n’avaient
pas d’enfants, ils avaient tous des
parents et des grands parents…
Cela l’avait fait sourire. J’avais
aussi rencontré Emmanuel Macron
qui était alors secrétaire général
adjoint à l’Elysée. Il m’avait
écouté. Il s’était montré tellement
enthousiaste que j’étais persuadée

qu’on ferait cette loi en totalité…
Avant vous, d’autres ministres ont aussi
échoué sur ce sujet…
Ce dossier est à l’arrêt depuis le
quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Roselyne Bachelot, sa ministre
de la Santé, s’était pourtant fortement
impliquée, mais Nicolas
Sarkozy a abandonné. A la place,
il a préféré faire la baisse de la TVA
dans la restauration, qui n’a rien
apporté socialement.
Emmanuel Macron a promis une loi
« grand âge et autonomie » pour 2021.
Y croyez-vous ?
Quand Agnès Buzyn a été nommée
ministre de la Santé au début
du quinquennat, elle m’avait
garanti qu’elle ferait cette
loi. Brigitte Bourguignon, l’actuelle
ministre déléguée en
charge de l’Autonomie, s’est aussi
engagée à la faire. Elle demande
des rapports… Mais cette
loi ne se fera pas. La présidentielle
est dans un an, cette loi
coûtera plusieurs milliards et si
Emmanuel Macron la fait, il
prend le risque qu’on lui reproche
de se mobiliser encore pour les vieux…
Quoi qu’il en soit, ce sera la prochaine urgence ?
Oui, et mon regret de ce retard
serait partagé par ma prédécesseuse
Paulette Guinchard. Il y a
dans les Ehpad 1% de la population
française et ces structures
comptent pour 50% de la mortalité
du covid : le modèle doit évoluer.
Il y a beaucoup plus de salariés
qui ont un problème avec
un vieux parent qu’avec un enfant
en crèche. Et toutes les
grandes structures font des
crèches… Or, nous avons besoin
d’accueil de jour, d’accueil d’urgence
pour nos grands âgés…
Pour que les familles aient une
solution de secours. Le modèle
doit évoluer. Je veux que les Ehpad
privés répondent à des critères
connus de tous en particulier
sur la médicalisation. Y a t il
une infirmière de nuit ? Un médecin
de garde ? Une bouteille d’oxygène ?
Face au vieillissement de la population,
vous êtes l’une des rares à gauche à assumer
le fait de travailler plus longtemps.
Pourquoi ?
Ma génération a gagné 20 ans
d’espérance de vie. En 1945, elle
était de 65 ans et la retraite était
à … 65 ans. Aujourd’hui, l’espérance
de vie est de 85 ans pour les
femmes et en moyenne de
82,5 ans pour les hommes. Mais
on ne travaille plus jusqu’à 65 ans.

Je précise que je n’inclus pas
les métiers à forte pénibilité. Et
celle ci peut très bien se définir
sur deux critères : les accidents
du travail et l’espérance de vie
dans ces professions. Oui, il faut
réfléchir au fait de travailler plus
longtemps. J’ai une bonne retraite.
Imaginez que j’ai 60 ans,
pourquoi mon aide soignante
devrait payer cette retraite pendant
40 ans ? Alors qu’on est aussi
nombreux...