1314 - "La religion, la gauche, les larmes et le silence » P.Boulvrais 13 posts

 "La religion, la gauche, les larmes et le silence »

Je relisais ces jours ci un petit livre de Jean Birnbaum qui analyse assez courageusement, les contorsions gênées de la gauche face à l'islam. Intitulé « Un silence religieux, la gauche face au djihadisme », il est ainsi présenté par son éditeur (Le Seuil) : « Alors que la violence exercée au nom de Dieu monopolise l’actualité, la gauche semble désarmée face à ce phénomène. Alors que la violence exercée au nom de Dieu occupe sans cesse le devant de l’actualité, la gauche semble désarmée pour affronter ce phénomène. Incapable de prendre la religion au sérieux, comment la gauche comprendrait-elle l’expansion de l’islamisme ? Comment pourrait-elle admettre que le djihadisme constitue aujourd’hui la seule cause pour laquelle un si grand nombre de jeunes Européens sont prêts à aller mourir à des milliers de kilomètres de chez eux ? Et comment accepterait-elle que ces jeunes sont loin d’être tous des déshérités ? ». Les « contorsions » des militants pro-FLN, anti-impérialistes, venus au militantisme politique en Mai 68 puis devenus ensuite des hiérarques de la gauche de gouvernement sont plutôt bien vues. Et ce qu'en écrivait dans un article publié par l'Humanité en février 2016 Nicolas Dutent sous le titre « La religion, la gauche, les larmes et le silence », synthétise la problématique de manière intéressante. « Si le silence est un aveu, comme l’aurait professé Euripide, celui qui hante l’ouvrage de notre confrère Jean Birnbaum n’est ni musical ni vertueux. Cet aveu chuchoté à l’oreille des temps sourds a plusieurs visages. Il exprime dans la gauche un malaise, un aveuglement, un refoulement du fait religieux. Cette évidence est douloureuse, mais qui oserait nier la difficulté écrasante, pour les forces progressistes, d’intégrer la religiosité à leur logiciel politique ? Si l’incapacité à traiter la religion comme une affaire sérieuse est une des mieux partagées, l’idée que cet impensé (relatif) nous plombe et exige d’être dépassé parcourt le livre : le mutisme n’est plus permis à l’heure où l’extrême droite et l’obscurantisme guerrier gagnent symétriquement du terrain. « Pour lutter contre le djihadisme, plutôt que d’affirmer qu’il est étranger à l’islam, mieux vaut admettre qu’il constitue la manifestation la plus récente, la plus spectaculaire et la plus sanglante de la guerre intime qui déchire l’islam », résume l’essayiste. Il conforte la dynamique engagée par un courant critique qui s’étend, dans le cas français, du philosophe Christian Jambet jusqu’au psychanalyste Fethi Benslama, en passant par Mohammed Arkoun et son élève Rachid ­Benzine ; sans oublier les écrits décisifs de Régis Debray et Abdennour Bidar qui interrogent la sortie, les retours et la permanence du sacré et du religieux. Quant au regretté Abdelwahab Meddeb, n’invitait-il pas dans Face à l’islam (Textuel), prolongeant le geste de l’Iranien Mollâ Sadrâ, qui recommandait au XVIIe siècle de ne pas enchaîner Dieu, à séparer « l’islam de ses démons islamistes » ? Ce mouvement hétérogène refuse simultanément les amalgames destructeurs, les prisons doctrinaires... et le déni. Ainsi, l’affirmation selon laquelle le terrorisme djihadiste n’aurait rien à voir avec l’islam, si elle est bienveillante, n’en demeure pas moins un leurre dangereux. Il plante un poignard dans le dos des « intellectuels et théologiens musulmans qui ne se résolvent pas à regarder s’avilir sous leurs yeux la religion dont ils chérissent les trésors spirituels, culturels et humains ». Jacques Derrida, dont le journaliste est un lecteur averti, avisait déjà dans Foi et savoir (Galilée) qu’« il faudra discerner : l’islam n’est pas l’islamisme, ne jamais l’oublier, mais celui-ci s’exerce au nom de celui-là, et c’est la grave question du nom dans ce qui arrive, se fait ou se dit au nom de la religion ». Au nihilisme s’oppose la mobilité de l’espérance. La pente, on le voit, est glissante. Si Jean Birnbaum marche sur un fil, il ne perd pas l’équilibre. Il réveille le spectre de Marx en plongeant – saut maîtrisé ! – dans sa formule célèbre et tronquée qualifiant la religion d’« opium du peuple » et creuse quelques exemples précis, choix judicieux tant l’exhaustivité sur ce sujet est un vœu pieux. Le double effort de contextualisation et de problématisation des témoignages de militants de la génération FNL, l’exposition de la lucidité inquiète qui habite le reportage de Michel Foucault en Iran dans l’année 1978, le retour sur les vives tensions qui traversèrent le NPA en 2010 lors de la présentation d’une candidate voilée… fournissent à ce traité ses temps forts. La comparaison à l’œuvre dans le dernier chapitre – qui confronte autant qu’elle distingue les destinées des brigadistes et des djihadistes – n’est pas toujours convaincante tant l’horizon de l’engagement diffère en nature. Au nihilisme tout-terrain, l’auteur oppose ­cependant avec habileté la stabilité et la mobilité de l’espérance : « L’histoire nous mord la nuque, disaient naguère les militants internationalistes. Le paradis nous démange, répondent aujourd’hui les activistes du djihad. » Cette interpellation forte et juste nous dit, au fond, que si « le silence a le poids de nos larmes » (Aragon), il ne faudrait pas que la religion devienne « le dernier soupir de la gauche, cette créature déprimée ».  


27/12/2017
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