1127- Aymare, une communauté anarchosyndicaliste dans le Lot 5 posts

Olivier Hiard, Une collectivité anarchosyndicaliste espagnole dans le Lot. Aymare, 1939-1967, Foix, Editions libertaires 2014, 168 p, 13€.

Dans cette courte monographie parue aux éditions libertaires, Olivier Hiard retrace la genèse, le développement et la disparition de la colonie d'Aymare dans le Lot. L'expérience est originale à plus d'un titre. Elle est refoulée, marginalisée, étouffée par les deux blocs mémoriels que sont les expériences autogestionnaires durant la guerre d'Espagne, la vague autogestionnaire des années 60 via la Yougoslavie puis l'effervescence communautaire des années 70. Aymare nait de l'expérience espagnole, elle procède de l'exil.  Aymare, un quasi-château soit une propriété dans le Lot d'environ 120 ha –à proximité du Vigan- est d'abord acheté par la SIA (Solidarité Internationale Antifasciste) et le MLE (Mouvement Libertaire Espagnol) pour former une exploitation agricole dont l'objectif explicite est de fournir un statut, un emploi, aux libertaires espagnols exilés et les exfiltrer ainsi des camps d'internement en 1939. La guerre ouvre rapidement une seconde partie de la vie de la communauté, en proie à la législation de Vichy, puis de l'occupation allemande de la zone sud : la colonie est là refuge. Elle se réorganise –difficilement- à la libération en une colonie de mutilés et invalides de guerre, puis en 1948, enfin dotée de statuts, elle prend la forme d'une colonie libertaire, après un âge d'or (1950.1954), la colonie fonctionne cahin-caha jusqu'en qu'en 1963, puis s'effondre. La propriété est vendue en 1967.

Ainsi resserrée, cette courte chronologie dit peu, sinon rien, de l'intérêt d'un volume, largement enrichi d'annexes et de reproductions. Au ras de l'écriture, il y a une démarche personnelle motivée par la volonté d'écrire l'histoire d'un lieu proche –sans doute familier- mais dont l'expérience se perd. L'ambition initiale d'Olivier Hiard est là : donner un premier aperçu d'Aymare en son temps, communauté inscrite dans les tempos mêlés de l'histoire du mouvement libertaire, des exilés espagnols et de l'antifranquisme comme dans une histoire plus longue du mouvement ouvrier et de ses utopies. Car Aymare, par sa longévité, peut se comparer aux familières de Guize, comme aux utopies icariennes en Amérique du nord[1]. Par incises, l'auteur livre le portrait d'une colonie agricole, fondée sur une économie de subsistance, où la quête de l'autosuffisance –compte tenu des ressources locales- est un serpent de mer : la colonie dépend toujours de l'élan militant (par des contributions matérielles, par l'apport d'une expertise…) et des organisations. Elle devient alors à son corps défendant le lieu géométrique d'une contradiction : les ressources, les subventions, fournies à la colonie, ponctionnent l'aide aux réfugiés et à lutte antifranquiste : elle devient ainsi à la fois un fardeau et une réalisation qu'il faut donner à voir, soit la preuve en ces temps de guerre froide de la possibilité de l'utopie communautaire libertaire. L'auteur explore avec brio les arcanes et les entrelacs du rapport d'Aymare aux organisations qui la supportent, au risque parfois d'une histoire interne qui tait l'insertion de la communauté dans l'espace local, sinon par de rares digressions. L'ouvrage atteint là son but, susciter l'intérêt du lecteur, motiver de nouvelles recherches en s'appuyant sur ce (trop) court opus des éditions libertaires. Les annexes, la bibliographie, constituent alors autant de ressources.

Vincent Chambarlhac




[1] Voir Michel Cordillot, Utopistes et exilés du Nouveau Monde. Des Français aux États-Unis de 1848 à la Commune, Paris, Vendémiaire, 2013.

Photo de Christian Schmitt.
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16/08/2014
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