Comme la place de la Bastille ou la salle de la Mutualité, le Cirque d'hiver est un des lieux symboliques de la gauche à Paris. Jacques Duclos, Georges Marchais, François Mitterrand, Pierre Mendés-France et tant d'autres y on tenu des meetings. Devant des ouvriers de Renault-Billancourt et des employées des grands magasins, des retraités modestes, des postiers, des petits fonctionnaires, des instituteurs souvent originaires du sud ouest et qui en Ile de Franc animaient des associations, des syndicats, des sections du PS. Bref, ceux qui ont fait gagner les élections à la gauche, ceux qui constituaient sa base militante dans la deuxième moitié du siècle dernier. Le petit peuple de la rose connaît par cœur ce lieu.
Le 15 septembre, le Cirque d'Hiver était réservé par un socialiste Henri Weber, sénateur et député européen , comme beaucoup de cadres du PS, issu du trotskisme. Et pas qu'un peu. Classé parmi les enragés de mai 68, il avait fondé la Ligue communiste révolutionnaire avec Alain Krivine. Weber proposait-il un meeting pour refonder la gauche, présenter un projet crédible face à celui de Sarkozy ? Non, Weber organisait son mariage avec sa compagne Fabienne Servan-Schreiber, influente réalisatrice de la télé et du cinéma. Une noce en grand: 800 invités.
Ce couple politico-médiatique (Un de plus : en général l'homme est en politique, la dame dans les médias) s'est constitué dans l'après 68, quelque part sur une barricade que lui tenait et elle filmait. A l'époque, se marier en majesté, c'était du conformisme petit bourgeois de mauvais goût, du signe extérieur de dérive droitière. On laissait ça aux riches, aux gaullistes, aux démocrates chrétiens.
Cette fois, Sonia Rykiel en personne avait dessiné la robe rouge de la mariée et dans l'assistance on ne voyait que du beau linge. Les ex révolutionnaires avaient réuni tout ce que la gauche, ou plutôt la gôche comme on dit dans ces milieux, compte de personnalités, de people, de médiatique dans ou à côté de la politique ; Ségolène et ses quatre enfants, leur ennemi préféré Jospin, à l'autre bout de la salle, DSK revenu de New York avec Anne Sinclair (Sa réputation de coureur de jupon serait donc usurpée ?), Fabius (parti avant la fin).
Même les débauchés de gauche, Kouchner, Jouyet, Hirsch and co avaient leur table avec d'ailleurs Françoise de Panafieu candidate UMP à Paris. A table, comme lors de tout banquet on rigolait du passé, on parlait de l'actualité, celle qu'on lit dans les magazines : Nicolas et Cecilia sont –ils ensemble ? Avec qui est Ségolène ? Et parce qu'on est quand même socialiste, on disait du mal de ceux de l'autre table ou des absents, dés fois qu'ils grimperaient trop vite dans l'appareil du parti ou les sondages.
Entre gens bien élevés, les couteaux ne sont quand même pas sortis de table. Autour du philosophe Edgar Morin, une table d'intellectuels, passés ou non chez Sarko, s'extasiaient lors la projection d'un film sur l'histoire du couple entrecoupé d'images d'archives de ces 30 ans de vie commune s'achevant par une croisière en Méditerranée sur un caïque au large de la Turquie. Sarkozy préfére les yachts. Toute la différence.
C'est régis Debray, l'ami du Che Guevara très apprécié par les libéraux qui commentait les images.
Cette gauche d'en haut aussi est décomplexée : elle aime festoyer entre elle, côtoyer des amis riches et célèbres, former des couples people (Ockrent et Kouchner ont lancé le sirtaki au moment d'entourer les mariés en tenue de gala assis au milieu de la scène du Cirque d'Hiver) Il suffisait de regarder d'autres invités dans la salle.
Notre consoeur du Monde Ariane Chemin, dont le livre «La femme Fatale » mérite une lecture approfondie pour mieux cerner le personnage Ségolène Royal, cite quelques invités : « le patron de Lazard, Philippe Lagayette, de chez JP Morgan, ou Lindsay Owen-Jones, le patron de L'Oréal. Des ténors du barreau, ou des patrons de télévision - Patrice Duhamel, Jérôme Clément, Patrick de Carolis . Patrick Bruel, Carla Bruni ou Julien Clerc.
Ah si, Weber avait jugé un ami indésirable ; Alain Krivine. Pas assez présentable, le camarade resté trotskiste…D'ailleurs, il ne serait pas venu.
A propos de Trotski, Henri Weber aurait pu rappelé, lors de cette soirée mémorable cette phrase célèbre du dissident assassiné d'un coup de pic à glace à Mexico : « Il ne faut pas abandonner le luxe à la bourgeoisie ». Elle aurait pu justifier cette noce politico-mondaine si lui-même n'appartenait pas déjà à cette bourgeoisie. Les leaders socialistes et de la gauche en général se demandent pourquoi les classes populaires n'y croient plus et se sont parfois détournées vers Le Pen, l'abstention ou Sarkozy. Voir et revoir la vidéo du mariage au cirque d'hiver les aidera peut-être à comprendre ou à céder la place
A propos, le menu ne prévoyait pas de caviar. Ce n'était pas la peine. Les convives de cette noce, ceux là même qui perdent les élections importantes depuis 20 ans ont montré que gauche et caviar s'accordent à merveille.