250- 4 posts François Bayrou et la rhétorique- fiction par Judith Bernard

.........................................................................................................................        "...  C'était il y a bien longtemps, à l'époque où les règles des temps de parole offraient aux gros candidats d'interminables boulevards, c'était sur TF1, c'était dans J'ai une question à vous poser, et Bayrou nous contait les grandes heures du rassemblement des Français, souvenez-vous :

« Le rassemblement c'est pas une affaire de mollesse, c'est une affaire de volonté. D'ailleurs il a été en France proposé et imposé par deux hommes qui n'étaient pas spécialement des tendres de ce point de vue là. Il a été proposé et imposé par le Général de Gaulle, deux fois, au moment de la libération (...) et derrière que s'est-il passé ? Un raz de marée pour le Général de Gaulle, parce que quand vous invitez les Français à se rassembler, personne, aucun appareil ne peut résister à ce rassemblement. Quand le peuple français dans sa majorité, dans son- dans son- dans sa volonté profonde dit aux appareils politiques « mesdames et messieurs, votre affrontement qui dure depuis des années nous a conduits à la situation où nous sommes »

Stop ! Vous avez chopé le petit glissement, là ? En passant de « quand vous invitez les français à se rassembler » à « quand le peuple français dit », on a changé de « quand » : c'est devenu un « si », car il n'est pas avéré que le peuple français a dit cela. On est passé de l'Histoire avec un grand H à l'histoire petit h, celle qu'on se raconte pour s'endormir le soir - on est entré dans la mise en scène d'une fiction, celle du peuple Français parlant dans la bouche de Bayrou, écoutons-le :

« Mesdames et messieurs, votre affrontement qui dure depuis des années nous a conduits à la situation où nous sommes : la dette c'est vous, le déficit c'est vous le chômage c'est vous, et bien maintenant vous allez s'il vous plaît nous aider à sortir de cet enlisement ; nous aider : pas le faire à notre place. (...) assez de vos querelles perpétuelles, elles épuisent le pays et elles le ligotent, elles l'empêchent de bouger vous comprenez ? »

Entendez-vous dans la campagne mugir tout ce peuple français ? Bayrou ventriloque nous le fait éprouver, c'est sa bouche qui parle mais la voix c'est une autre, résonnant du fin fond d'un puits de révolte et de colère. Ce qu'il propose ici s'apparente à une figure de rhétorique très classique qui s'appelle la prosopopée, figure par laquelle on fait parler les absents, et dans laquelle on rencontre fréquemment l'apostrophe, cette manière d'interpeller vivement l'interlocuteur : là, le peuple vraiment très très fâché apostrophe les « appareils politiques », ces monstres désincarnés contre lesquels Bayrou, en chevalier solitaire et sans aucun appareil, se bagarre héroïquement.

Ce n'est donc pas tout à fait pareil que lorsqu'il nous embarquait dans son affrontement avec les médias : en interpellant Bernard de la Villardière, Bayrou ne nous trompait que sur le « nous », qu'il inventait de toutes pièces. Le « vous » était bien réel, incarné en face de lui en la personne du journaliste à qui Bayrou remontait les bretelles pour de vrai. Là, le « vous » est aussi irréel que le « nous » : il n'est pas là, ne peut pas répondre, c'est une marionnette, mieux : un épouvantail. Il n'y a plus aucune réalité dans la situation d'énonciation mimée par Bayrou. On s'embarque cette fois vers la prosopopée.

Et alors ? Alors de la prosopopée, le Gradus, qui est la bible de la rhétorique, nous rappelle que c'est une figure du sublîme qui porte à la grandiloquence (de fait), mais il nous signale surtout que c'est une figure étrange, qui fait passer un récit pour de l'énonciation, qui fait donc passer une fiction pour une réalité, et qui est donc, je cite le Gradus, à rapprocher du truquage au cinéma. La prosopopée, pour le dire simplement, est un truc de truqueur.

Et le Gradus, très sage, de conclure par cet avertissement : « utilisée comme argument, la prosopopée est aventurée »... Mais notre vaillant chevalier ne craint probablement aucune aventure, et surtout pas celle de la rhétorique-fiction."

http://www.bigbangblog.net/article.php3?id_article=570



24/03/2007
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